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La gazette du festival : Bruno Delahaye, l’homme pressé

Par Jérôme Bois • Publié le 24/06/22

Touche à tout inspiré, scénariste, réalisateur, directeur de casting, Bruno Delahaye est un fonceur compulsif qu’aucun obstacle ne freine. Un tempérament qui l’a conduit à collaborer à de grands succès, populaires ou d’estime, à lancer la mode des films de banlieue et à ne jamais se satisfaire de ce qu’il a. Toujours plus loin, Bruno !

Sa fiche sur le site de l’Arda (l’association des directeurs de castings) se limite à une photo, quelques informations de parcours et affiche un grand nombre de films et séries  auxquels il a collaboré. Le minimum pour un homme au parcours sinueux, fait d’audace et d’opiniâtreté. Le mieux est encore de discuter avec lui. Dès lors, la machine est lancée, Bruno Delahaye expose, détaille, la parole à haut débit comme si jamais sa mémoire ne lui faisait défaut. Chaque parcelle de son parcours est un souvenir prégnant.

Rêves de comédie

Ça a commencé tôt, en imitant Louis de Funès ou Jean Gabin, « je voulais être comédien, ce ne pouvait être qu’un super métier ». Sauf qu’avec un père commandant dans l’armée, l’hypothèse d’une carrière artistique ne pouvait subsister que dans son esprit. « Tu feras tes études d’abord, me disait-il ». Fort bien, Bruno s’en ira étudier la biologie. « La science m’intéressait, je lisais Jules Verne dès l’âge de 7 ans, je m’imaginais les actions ». Et peu importe si la famille devait s’accorder au trépidant rythme de vie du paternel, « il était muté tous les deux ans, j’aimais bien, c’est la vie, on s’adapte » , un leitmotiv qu’il fera sien toute sa vie. Après les études, direction l’école de cinéma « parce que les labos et les boîtes de pétris, je n’en voulais plus ». L’Esec (école supérieure d’études cinématographiques) sera son nouvel univers pour comprendre ce qui fait un film, au-delà de ce que l’on voit sur l’affiche. Il faut dire qu’un cuisant échec mettra à mal son obsession pour la comédie. « J’avais passé un casting, à 15 ou 16 ans. A l’époque, je ne faisais qu’1m50, ils m’ont dit que je ne ressemblais à rien. Ça a été d’une violence… » A l’Esec, il loupe encore le coche en ne faisant pas partie du groupe en partance pour Cannes et son festival. Ni une ni deux, Bruno lâche tout, quitte l’Esec « deux mois avant le diplôme » et file à Cannes par ses propres moyens. « J’avais 17 ans, il fallait que je gagne ma vie » , dit-il. Au hasard d’un casting, il s’aperçoit que la directrice est seule et se propose de lui donner un coup de main. A quoi ça tient…

Son truc à lui

Et c’est ainsi qu’il participe, en tant qu’assistant de la directrice de casting, à la création de films comme « Tchao Pantin », « le Grand chemin », les longs métrages de Roman Polanski… Son premier en qualité de directeur à part entière sera un film de Gilles de Maistre, « Killer kid ». « Et depuis, se marre Bruno Delahaye, j’ai fait plein de films de banlieue. J’étais allé chercher de purs acteurs venant des quartiers, la plupart sont morts, d’ailleurs aujourd’hui… De tous, c’est sans doute le film le plus glauque » … « Raï », de Thomas Gilou, flirte avec Cannes mais échouera à une voix près, puis il enchaîne avec « Cantiques de la racaille », de Vincent Ravalec… « Je n’ai pas peur d’y aller, d’aller rencontrer les gens là-bas, je connais les codes. Pour ce type de films, c’est moi qu’on appelle » , avance-t-il fièrement. Les Saïd Taghmaoui, Sami Boujila, Rachida Brakni, « je les ai lancés. Quand tu arrives au quartier, il faut préparer le terrain parce que tu es chez eux. Moi, j’avais une méthode simple : je commençais par sympathiser avec les plus jeunes, puis les ados et enfin les adultes. Mes figurants, en allant les chercher sur place, ça ne peut qu’être plus crédible à l’écran ». Sauf qu’à un moment, il souhaite passer à autre chose. « Loin », d’André Téchiné et « Odette tout le monde », d’Eric-Emmanuel Schmidt lui ouvrent de nouveaux horizons. « Chili con carne », « Europa Europa », « Tony », Bruno s’amuse, allant parfois même jusqu’à effectuer des castings au Laos ou au Rwanda. « J’aime bien le côté difficile d’un casting, qu’il y ait un challenge » …

« Directeur de casting, ça n’existe pas »

Un jour, il est contacté par la société Marathon Group, spécialisée dans les flux tv, « ils cherchaient un directeur de casting à l’année, un mec venant du ciné et ayant un œil de ciné. J’y suis resté deux ans ». Là, il bosse sur des séries mais se heurte à l’aspect très cadré du format télévision, « je ne choisissais plus les films, ça devenait lassant, je voulais partir ». Coup de bol, la société le licencie pour cause de restructuration. Le statut précaire d’un directeur de casting ? Il s’en moque. « Je suis un intermittent du spectacle et à vrai dire, directeur, ça n’existe pas ». Alors quitte à évoluer, autant tourner et passer à la réalisation. En 2002 et 2003, il enchaîne « Livraison à domicile », avec Bruno Solo, Thierry Frémont, Barbara Schultz et « Coup double », avec Samy Naceri. Sur le premier, Bruno découvre le système D, improvise et surtout, passe de coups durs en moments de grâce. Pour toutes les misères techniques qui s’amoncellent, combien de coups de chance ? « Mécaniquement, tout tombait en rade. Dans une scène avec Alexandra Lamy sur un vélo, à peine se met-elle en route que la chambre à air gonfle et explose… Pourtant, côté météo, par exemple, on a un un bol extraordinaire ».

Aujourd’hui, Bruno dirige sa propre boîte de production, les « films de l’essentiel » et possède trois projets de longs dans la besace. Trois scenarii dont un, « Karma », une histoire ésotérique complètement folle qu’il espère décliner en trilogie… Parce qu’il est comme ça, Bruno, il voit grand et ne s’arrête jamais…

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