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La gazette du festival : Gérard Krawczyk, master classe

Par Jérôme Bois • Publié le 24/06/22

Réalisateur à succès, aux plus de 30 ans de carrière et 20 films, Gérard Krawczyk donnait une masterclass sur sa filmographie et sur les relations entre le documentaire et la fiction, jeudi 23 juin, dans le cadre du festival du cinéma français, le bon moment pour parler de son métier, de sa carrière, en toute simplicité et à bâtons rompus, dans le cadre le plus majestueux qui soit.

Quelques heures après sa masterclass donnée dans le cadre du festival du cinéma français d’Aix-les-Bains, ses premières paroles sont adressées à l’animateur, Guillaume Deheuvels, « formidable » , auteur d’un « travail préparatoire remarquable, un sacré boulot ». Parce qu’il faut dire les choses, à plus forte raison lorsqu’elles sont positives. L’homme, imposant du haut de ses 69 printemps, insiste, « quand quelque chose est bien, bon, beau, il faut toujours le dire » , martèle-t-il, comme pour rompre avec une sinistrose ambiante.

L’évidence « Taxi »

Gérard Krawczyk a tout d’un homme heureux. Généreux, affable, il n’aime rien tant qu’échanger, avec un public, des élèves, un journaliste, quels que soient la nature des échanges : « On a le droit de ne pas être d’accord, on connaît tous notre fin alors échangeons, toujours, tout le temps. Les espaces de liberté se restreignent dans une société qui aime à cocher des cases ». Alors on échange. Des divers épisodes de Taxi, d’abord, comme on évoque une vieille routine. Le 2e volet, en particulier, son grand succès de 2000, suite du non moins énorme autant qu’inattendu succès de 1998 signé d’un autre Gérard, Pirès… qu’il a du remplacer au pied levé après un accident. « C’est l’un des films les plus connus en France et à l’international, on m’en parle encore. Vous savez, les films, tant qu’on en parle, c’est qu’ils sont vivants ».

Le Marseille populaire, de jeunes acteurs (Samy Nacéri, Frédéric Diefenthal, Marion Cotillard) à l’orée d’une brillante carrière, la vitesse, les voitures, l’action… un mélange habile, cocktail détonnant pour ce printemps 98 alors qu’approche l’été des blockbuster américains faits de lézards géants et météorites meurtrières et que sévit encore le paquebot échoué de James Cameron, trois mois après sa sortie… Mais pour lui, au départ, Taxi fut une surprise. « Personne ne s’y attendait. Je me souviens, lorsque j’ai tourné la toute première scène du premier volet, un producteur m’a demandé si ça allait vraiment être bien ». A cette époque, les films français n’avaient pas la cote auprès des jeunes, Taxi était un pari signé Luc Besson, scénariste et producteur. « Il fallait surprendre, Et puis le public s’est emparé du phénomène… A ce moment-là, le film ne vous appartient plus » , il vit sa vie, se murmure d’une oreille à l’autre et cumule les entrées au box office. Le succès se vérifie à ce compliment, obtenu de la bouche d’un jeune, venu assister au tournage : « Il me dit alors, ‘en fait, ce ne sont pas des stars mais des gens comme nous !’ » Le gamin fit mouche, la mayonnaise avait pris.

« J’explique ce que signifie écrire une histoire »

Logiquement, les 6,5 millions de spectateurs se transforment en 6,5 millions de raisons de ne pas s’arrêter en si bon chemin et lorsque sort le deuxième volet, l’attente est palpable et la question brûle les lèvres : comment faire plus et mieux ? « Il ne fallait pas se gourrer, sourit Gérard Krawczyk, et on ne les a pas déçus ». Car le résultat est gigantesque, « on a doublé les chiffres (10,3 millions d’entrées en réalité, plus gros succès de l’année en France devant Gladiator, NDLR), jamais un deuxième volet n’était parvenu à doubler les chiffres, rembobine-t-il. Quand on fait des suites, il faut savoir se renouveler mais sans se trahir. Comme les groupes de rock, à chaque nouvel album, on veut du nouveau mais avec des morceaux qui nous rappellent aussi pourquoi on les aime. Ça met une sacrée pression ». Pression qui semble glisser sur lui,  « j’ai toujours fait des films que j’avais envie de voir en tant que spectateur » , assène-t-il. Forcément, il connaît la recette. De Taxi 2 à Fanfan la tulipe, de Taxi 3 à Wasabi, de Taxi 4 à la Vie est à nous et depuis l’Été en pente douce (1987), sa filmo aime surprendre et ce même si son nom de brille pas autant à l’affiche que celui de ses acteurs, il s’épanouit dans tous les registres. « Réalisateur, les gens ne nous connaissent pas. Je prends un exemple, vous allez voir quelqu’un dans la rue pour lui demander qui a fait Titanic, peu de chance qu’il sache. Ils voient un film avec des acteurs, c’est comme ça… »

Pas de quoi le frustrer pour autant, son quotidien, aujourd’hui, c’est la transmission. Des masterclass, certes, mais aussi des interventions dans les écoles « pour faire de l’éducation à l’image car ça me préoccupe de voir que pour les jeunes, tout vaut tout. Ils pensent pouvoir faire un film avec un simple téléphone, on peut le faire, oui, pas de problème mais dans un film, il y a une histoire, des personnages, une dramaturgie, un réalisateur… Je leur explique ce que signifie écrire une histoire ». Il s’est ainsi dit particulièrement touché lorsqu’un jeune homme débarqua sur le tournage de « la Vie est à nous » (2005). « Il m’avait interrogé sur comment passer d’un film d’action à un film plus intimiste » , se souvient Gérard Krawczyk. Un jeune homme qui a fait son chemin jusqu’à présenter « Farmer, a way of life » lors de la cérémonie des Oscars, projeté le 24 juin à Aix… « Si j’avais été frustré, je serais devenu acteur mais non, je suis très heureux d’être derrière, de raconter des histoires qui font rire ou émeuvent ». Derrière où il dispose d’une grande liberté, « dans la limite du budget accordé. Il voit même le cinéma comme » le dernier espace de liberté« , parle de » promesse« , comme on l’évoque en magie en préambule au tour qui va être accompli. Et si parfois, tout ne se passe pas comme prévu, on retombe sur ses pattes, à un moment ou un autre. » Il est arrivé que mes projets ne soient pas considérés comme dignes d’intérêt, j’ai même une pile de projets qui ne seront jamais des films, nous sommes tous passés par là mais lorsque vous criez ‘action !’ et que le plan se déroule tel qu’on l’a imaginé, là, c’est le meilleur moment… «

Une promesse

Dans une période où le streaming est devenu prépondérant, où les réseaux sociaux ressassent, analysent, décortiquent, où les films sont mis à nu avant même leur sortie, « une époque où l’on est noyé d’images » , Gérard Krawczyk continue de croire au plaisir simple d’une séance de cinéma, lieu d’échange (encore) par excellence. « La salle, c’est là où le film se partage et ce n’est pas un mot galvaudé ! La salle est l’écrin naturel du film. On a besoin de se retrouver, de partager ». Il est possible de faire que la promesse soit bien gardée, « c’est même une erreur de penser que tout est divulgué, on peut encore garder un film secret et ne rien en savoir. Pour Taxi 2, on n’a rien dit, rien laissé filtrer. Pour Taxi 4, on a simplement changé le nom du projet, baptisé » le Belge «. Oui, on peut encore garder le secret » et ainsi faire d’un film une promesse.

Le temps passe vite, au bord du lac d’Azur. Les nuages menacent, à travers lesquels perce un soleil agressif. Gérard Krawczyk profite à plein de ce temps de villégiature. « Je connais peu Aix-les-Bains » , avoue-t-il mais il a sans hésiter accepté l’invitation du festival. « Voir des films, faire une masterclass, bien manger, comment refuser (rires) ? C’est un énorme plaisir d’être ici, l’accueil est délicieux, cette ville est à visage humain, qui a comme quelque chose d’apaisant ». Et où l’on peut échanger, partager…

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