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La gazette du Festival : une sélection qui en met plein les yeux et le cœur
Par Laura Campisano • Publié le 24/06/22
On nous avait promis du lourd, la promesse est tenue : ce premier festival du film français d’Aix-les-Bains prouve à chaque projection qu’il n’a rien à envier à ses aînés, grâce à la sélection de Pierre et Arnaud de Gardebosc. En compétition, courts et longs-métrages rivalisent d’audace, de talent, de justesse et emportent l’adhésion du public, présent chaque jour tant dans les salles qu’aux abords du tapis rouge, pour saluer comédiens et réalisateurs. Malgré la météo capricieuse et la timidité des Aixois, le cinéma français est vraiment au rendez-vous.
Comment faire pour être partout en même temps, rencontrer les équipes et voir les films, être sur le tapis rouge et en coulisses ? C’est un challenge qu’il a toutefois fallu relever, tant ce festival du cinéma français a réussi à réunir de beau monde dans la cité thermale. La sélection, exigeante et variée, pouvant plaire à tout public, présente des films en compétition en avant-première et en exclusivité pour la plupart. Preuve que le cinéma français a encore de beaux jours devant lui et qu’il sait se renouveler.
Rendez-vous en « terre inconnue »
Pétaouchnok Le film d’Etienne Deluc a tout du film de bande. Des joyeux lurons qui sont venus présenter le film dont la bonne entente a laissé libre court à l’imagination sur les conditions de tournage. Philippe Rebbot en grande forme et imitant un Sacha Distel plus vrai que nature, aux côtés de Pablo Pauly et de Sami Ameziane (le comte de Bourderbala) un tantinet plus réservés mais dont l’œil frisait facilement. Une véritable comédie mettant en scène des personnages tous différents mais dont les points communs rapprochent plus qu’ils ne les éloignent, un film qui questionne la capacité de chacun de quitter l’individualisme pour l’esprit d’équipe. Se perdre à « Pétaouchnok » c’est un peu se retrouver, croire en sa bonne étoile, faire confiance à l’humain, accepter un ado, un père, un ami tel qu’il est, se retrouver soi-même semble possible, en partant chevaucher en équipée fantastique dans les Pyrénées et avec beaucoup de sang-froid. Exactement ce qui manque à la plupart des personnages de ce film emmenés par un Pio Marmaï déjanté mais juste, un Philippe Rebbot perché mais tendre, un Pablo Pauly maladivement jaloux mais amoureux, un Sami Ameziane plein d’espoir mais surtout bouleversant et pour ne citer qu’elle, une Camille Chamoux égocentrique mais touchante dans le rôle de l’apprentie comédienne parisienne en manque de réseau. A l’arrivée, le film cueille le spectateur et lui fait passer un moment à l’apparence léger mais bien plus profond, sur nos rapports à la réussite, à l’autre, aux responsabilités et finalement à ce qui compte. En compétition au festival d’Aix-les-Bains, il faudra à présent attendre sa sortie en salles le 9 novembre prochain pour le découvrir.
Fresque seventies en huis-clos Ozonien
Peter von Kamp Un film de François Ozon, c’est toujours un événement dont nul ne sort indifférent. Premier film du jeune comédien Khalil Ben Gharbia, 20 ans, grand rôle pour Denis Ménochet, prouesse muette de Stefan Crépon, le tout sublimé par la présence d’une Isabelle Adjani très juste sous les traits d’une ancienne diva dont le visage tapisse, un temps, l’appartement où se situe le décor.
« J’aime vraiment les vêtements des années 70, qui apportent une élégance, une confiance, expose Khalil Ben Gharbia, c’est en me glissant dans ces vêtements que je me suis trouvé dans cette peau de séducteur, cela me donnait envie de plaire, et d’autant plus qu’il s’agissait de mon premier film, j’avais envie de séduire. Je me suis senti de plus en plus à l’aise avec le personnage et avec les acteurs. Avant ce film, j’avais joué dans un court-métrage qui m’avait un peu laissé sur ma faim, j’avais ce problème de légitimité pour me situer par rapport aux autres comédiens, j’avais faim de plus. Avec ce personnage dans ce film-là, j’ai plus de recul, c’est que du plus de vivre ces moments-là », s’enthousiasme-t-il. Ce film-là est une libre adaptation du livre de Rainer Werner Fassbinder se jouant dans un huis-clos permanent à l’esthétique très dandy des seventies allemandes. La photographie, les costumes, les décors jouent un rôle qu’on ne peut renier.
Mais les rapports de force qui existent entre chaque duo qui composent cette fresque sont le sel même de l’intrigue : rapport filial, entre Peter Von Kant et sa mère, le même et sa fille, rapport homme-femme avec Sidonie, campée par Isabelle Adjani, rapport amoureux entre Peter et Amir, qui se transforme en rapport de force, et enfin rapport au travail, avec un souffre-douleur consentant et muet et son bourreau, entre Karl et Peter. « Comme je n’avais pas de texte, j’ai fait cette proposition, explique Stéfan Crepon qui interprète le rôle de Karl, j’étais dedans, j’ai cru à cette histoire et me suis amusé comme un petit enfant avec les partenaires que j’avais. Nous étions une petite famille en dehors des prises et avec Denis, qui est un acteur immense et je pense un des meilleurs de sa génération, nous avons noué des liens très forts. C’est un film universel qui évoque les différentes facettes de l’amour, il n’y a rien de plus compliqué que d’être deux, c’est une des répliques du film d’ailleurs. Ce sont des questionnements qui viennent à tout âge, quelle que soit notre origine, ou notre milieu. Et il n’y a pas de réponse, personne n’a raison ni tort, et que ce soit le fond ou la forme, on voit à quel point les personnages évoluent. Comme en plus, nous l’avons tourné dans l’ordre chronologique, on vivait ce qui se passait et les personnages évoluaient avec nous. » Des liens très forts, des passions très puissantes, qui n’ont sûrement pas fini de surprendre, puisque le film sort en salles le 6 juillet prochain.
Souviens-toi de cette nuit-là
La nuit du 12, vous faisiez quoi ? Dominik Moll s’empare d’une histoire vraie, relatée par Pauline Guena dans son livre 18.3, fruit de son année passée à la PJ de Versailles. On entre dans une brigade criminelle, à Grenoble, enquêtant sur un crime survenu à Saint-Jean de Maurienne. « Nous avons travaillé au sein de la PJ de Grenoble, qui est entourée de montagnes et ressemble à une arène, un peu le symbole de l’enfermement des personnages, puis à Saint-Jean de Maurienne, qui par de nombreux aspects représentait un monde avec plein de facettes, c’est ce que l’on cherchait. » détaille Dominik Moll.
Du local pour le festival aixois que cette enquête haletante, prise entre les montagnes et le décor industriel mauriennais. Tant de coupables idéaux et tant de questions sans réponse ou presque, dans l’esprit des enquêteurs, parmi lesquels on retrouve Bastien Bouillon, chef de groupe consciencieux et hanté par une affaire qui piétine pédalant en boucle au vélodrome comme l’histoire tourne dans sa tête, Bouli Lanners qui tente de contrer l’aigreur que provoque son métier, lui qui se voulait professeur de français et leur équipe sous pression dont fait notamment partie Johann Dionnet, réalisateur et comédien d’un court en compétition. « On ne sait pas forcément où va nous mener notre idée de départ, renchérit Dominik Moll, on essaie de faire fonctionner le personnage sur le papier, puis incarné par un comédien, cela ne donnera pas la même chose qu’avec un autre. Un film, c’est un être vivant qui va évoluer jusqu’à la toute fin du montage. Dans le film, on voit que cette affaire non résolue va provoquer des choses chez les personnages : que vont-ils en faire, comment le ressentent-ils ? C’est un point de vue très intime. » Le film, qui sort en salles le 13 juillet 2022, a également été présenté à Cannes Première en mai dernier. Haletant, juste, sans caricature, il vaut largement le détour.
Transparence d’un retour au pays contrasté
Citoyen d’honneur Retourner dans le pays où l’on est né et où l’on n’a plus remis les pieds depuis 35 ans est un périple, un voyage initiatique presque, sujet dont se sont d’abord emparés les réalisateurs argentins Mariano Cohn et Gaston Duprat, avant que Mohamed Hamidi ne décide de l’adapter en France. « J’avais bien aimé l’original, même si je l’ai trouvé plus froid, plus cynique, expose le réalisateur, en choisissant de l’adapter avec la France et l’Algérie, j’ai inséré d’autres rapports, d’autres personnages, j’ai voulu ajouter de la gaieté, de la fraîcheur et de l’empathie avec le personnage de l’ami qui emmène Samir partout. Et puis je voulais traiter du fond politique et social qui n’est pas du tout présent dans l’original. Je l’ai réécrit librement. » Au-delà de la distinction honorifique que remet la ville algérienne de Sidi Mimoun à l’illustre prix Nobel de littérature Samir Amin, campé par un Kad Merad tout en retenue, parti d’Algérie alors qu’il n’avait que 20 ans, le regard du réalisateur pose la question nostalgique et douloureuse du déracinement, de la double culture, être un peu de partout et beaucoup de nulle part, en somme. Une retenue souhaitée par Mohamed Hamidi, « j’adore Kad, a-t-il confié, c’est un super acteur de comédie mais je l’ai toujours préféré dans des films sérieux, je le trouve hyper profond comme acteur, et je lui ai demandé d’être là-dedans. »
Beaucoup de tendresse, mais aussi de transparence dans un retour plus que contrasté : d’un côté l’accueil bienveillant, de l’autre le ressentiment qui peut mener à une haine aveugle et sourde. Mais comme cela reste une comédie, les moments d’humour ramènent le film sur la rive de la légèreté, où s’entremêlent la langue française, le soleil d’Oran et les espoirs de la jeunesse, d’où qu’elle soit. « C’est comme ça l’Algérie, c’est un pays hyper dynamique, je n’y vais pas tant que ça mais il y a une vraie culture, des cinéastes, des chanteurs, même s’il y a très peu de moyens. Ce film m’a donné envie d’y retourner pour travailler avec des jeunes, si je peux faire ça j’y retournerai volontiers. » a souri le réalisateur.
En salles le 14 septembre, le film fait un petit clin d’œil à « Né quelque part » du même réalisateur. « C’est très universel, ce retour aux sources, explique Mohamed Hamidi, moi-même la dernière fois que je suis retourné en Algérie il y a trois mois, j’ai eu l’impression de vivre ce que vivait le personnage de Kad Merad. C’est comme ça quand on revient en Algérie, on nous pose plein de questions. La thématique de la question de l’identité, ça me parle. Ce choc des cultures, 30 ans après, on voit que ce personnage a refoulé sa jeunesse, il a tiré un trait dessus, mais qu’il a besoin de ce retour pour être complet. C’est son fils qui allume la mèche et s’il y va d’abord à contre-cœur, il finit par trouver ce qu’il était parti chercher. » Sur place, ce personnage côtoie une jeunesse engagée, qui lui rappelle la sienne, motif de son éloignement avec son pays d’origine, qui dans la réalité a poussé de nombreux jeunes algériens à quitter le pays pour se rendre en France dans les années 90. « Au départ, il est bien accueilli, même si petit à petit on sent une pression qui monte jusqu’à ce que cela parte en catastrophe, reprend Mohamed Hamidi, j’ai voulu montrer l’Algérie sous tous ses côtés, toutes ses ambivalences, pour être le plus proche possible de la réalité. » Le réalisateur a mis beaucoup de lui dans ce film, notamment des souvenirs d’enfance, bien que tourné au Maroc, le film reproduit la ville natale de Mohamed Hamidi, Nedroma, située entre Tlemcen et le Maroc, son lien avec la littérature que lui ont insufflé ses grandes soeurs en l’emmenant à la bibliothèque les mercredi et samedi après-midi, lui le petit dernier de la famille, le cimetière très poétique au milieu des fleurs dans une vallée, comme celui où sont enterrés ses parents, de nombreuses similitudes font que cette fiction retrouve un peu de réalité dans la vie même du réalisateur. La poésie qui se dégage de ce film bien plus profond qu’il n’y paraît transparaît aussi au travers du personnage de Mehdi, le réceptionniste-poète, campé par Brahim Bouhlel. « Juste après la série » Validés « de Franck Gastambide, j’ai eu le scénario du film, j’ai accroché direct et je trouve que j’ai eu une chance énorme, je n’ai pas hésité une seule seconde. » a indiqué le jeune comédien. Petite apparition également de Jamel Debbouze avec qui Mohamed Hamidi travaille régulièrement depuis 15 ans, dans le rôle du gardien du cimetière, scène également inspirée du vécu du réalisateur, et de l’acteur, qui venait de perdre son père au moment de tourner cette scène. « Je laisse chacun prendre ce qu’il a à prendre, a conclu le réalisateur, il y a plusieurs niveaux de lecture, je voulais qu’il soit divertissant mais aussi enrichissant. Je n’ai aucune idée de comment il sera reçu en Algérie, mais ils aiment mes films, en général. » Affaire à suivre…
Très court
Parmi les courts-métrages en compétition, « Fanfare » , « Je joue Rodrigue » , « Catarina » et « Papa Rapido » attirent l’attention par leur point commun principal. Ce ne sont pas à proprement parler des films d’amour, et pourtant c’est bien l’amour qui leur sert de fil conducteur. Imaginez-vous être soumis à une contrainte parce que vous êtes un peu trop nerveux…
Partout, tout le temps, la moindre émotion contraire déclenchera une petite musique agaçante, encore plus si vous essayez de conquérir l’élue de votre cœur. Imaginez ensuite, revoir « cette » fille, celle qui a déjà attiré votre attention et avec qui vous voudriez transformer l’essai… mais pour cela il vous faut avouer qui vous êtes, et encore plus ce que vous faites. De quoi est-on capable par amour ? De monter sur une autre scène que la sienne en plein festival d’Avignon ? De mentir par omission ? Johann Dionnet qui réalise et incarne ce personnage touchant que le spectateur a envie d’aider, vient lui-même du spectacle vivant, vivifiant même puisqu’il a notamment joué sous la direction de Pierre Palmade dans « la troupe à Palmade » ce qui a été très formateur pour l’écriture. « Le principe était que nous devions écrire des sketches à deux minimum, voire écrire pour d’autres et ensuite les jouer le soir-même, ce qui nous rendait forcément très solidaires entre nous. » se souvient-il. Par un habile tour de passe-passe, dans « Je joue Rodrigue » , Johann réussit à être à la fois réalisateur tout en restant comédien. « C’est en co-réalisant un court-métrage que j’ai compris que j’adorais diriger et surtout mettre en avant mes potes, sourit Johann Dionnet, ravi de présenter » Je joue Rodrigue « en compétition au festival d’Aix-les-Bains, mais là j’aimais tellement ce personnage que j’ai eu envie de le jouer. Les deux métiers sont très différents, cela dépend des projets. Sur ce court, il y avait beaucoup de travail c’était assez intense. Et c’est au montage que l’on se rend compte si ce que vous avez joué fait sens. C’est la partie que j’ai le plus aimé, le montage, c’est le choix du roi, ce n’est pas la même pression, c’est ce qui me plaît. Bien sûr il y a une tonne de choses qui ne sont pas prévues, c’est un travail d’équipe de faire un film, c’est comme le spectacle vivant : aucune représentation ne va se passer de la même manière, cela vient de l’authenticité. Il y a des défauts, c’est bien de ne pas être parfait, cela fait partie de l’être humain, et ça fait aussi partie de l’histoire que l’on veut raconter, qui est le seul cadre. »
En parlant de ce qui ne se déroule pas du tout comme prévu, « Catarina » en est une parfaite illustration, avec une série de rebondissements, de bourdes, de gaffes toutes liées à l’amour perdu pour lequel on est visiblement prêt à tout, et qui s’enchaînent au grand plaisir du spectateur. Quant à « Papa Rapido » , premier court-métrage d’Enya Baroux, (la fille d’Olivier, dont on voit la bobine sur une affiche électorale au début du film) c’est aussi l’amour d’une fille sur les traces de son père, l’amour des amis pour leur copain décalé, l’amour des uns pour les autres, qui guide l’action. Oui, décidément, il y a beaucoup d’amour sur ces courts.
Il reste encore quatre films pour lesquels les spectateurs peuvent voter, diffusés ce 24 juin à 18h (Catarina et Citoyens d’Honneur) et à 20h30 (Farmer Way of life et la dégustation) au Centre des congrès d’Aix-les-Bains.
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