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Retour d’audience : quand l’amour fou fait tomber le sursis
Par Laura Campisano • Publié le 17/06/22
C’est une de ces histoires de rupture qui tourne à l’obsession qu’a dû juger le tribunal correctionnel de Chambéry jeudi 16 juin, à l’audience des comparutions immédiates. Une rupture que l’un refuse quand l’autre ne la conçoit que comme la seule issue à une histoire dépassée après 20 ans de mariage et trois enfants. Une histoire du quotidien, qui pousse un ex-conjoint à la folie des gestes, des mots, des menaces, du harcèlement permanent jusqu’à la prison ferme et l’interdiction de paraître sur le département de la Savoie.
Mariés depuis 20 ans, Marie et Jules* sont séparés depuis plusieurs mois maintenant. Depuis le trop-plein de violences qui a poussé Marie a déposer plainte, à dénoncer les faits qu’elle ne pouvait plus supporter davantage, elle qui se taisait pour ses enfants. Jules est amoureux fou de Marie, aucun casier, pas d’antécédents. Pour lui, Marie représente tout, avec leurs enfants communs. Il n’est pas question qu’il soit séparé d’elle, et même, si jamais c’était le cas, son avenir, il ne l’envisage pas sans elle. Même la justice, qui les sépare et les éloigne par une mesure prononcée en audience le 3 mars dernier à Chambéry, qui lui interdisait d’entrer en contact avec elle, de paraître chez elle, aux abords de son domicile, aux abords de son travail et à son travail, n’est pas dissuasive. Au contraire. Depuis qu’ils sont séparés, Jules devient fou, il vit dans sa voiture, voit ses enfants par intermittence, et quand il ne travaille pas à Aixam, en intérim, il vient la voir, de loin. Il la suit, il la piste. Son téléphone borne régulièrement autour de son lieu de travail à elle à Drumettaz-Clarafond et autour de leur ex-domicile commun, à Chambéry. Marie n’est jamais tranquille, bien sûr qu’il ne l’appelle pas, mais enfin il est toujours dans le coin, elle ne sait plus quoi faire, n’ose pas sortir de chez elle, n’ose pas voir ses amis, qui eux-mêmes ne veulent plus être en sa compagnie car tout le monde a peur de Jules : quand il boit il est incontrôlable, il devient violent, menaçant, criant qu’il n’a plus rien à perdre et pas peur de la prison. Nouvelle plainte et interpellation de Jules, avant sa présentation au procureur de la république et son passage en comparution immédiate. Au-delà du harcèlement, le 30 mai, il est allé faire un esclandre et menacer tout le monde à la plage des Mottets où il dit être « passé par hasard » au moment où Marie était sur place avec ses collègues de travail. La situation dégénère, il risque la révocation de son sursis en plus d’une peine d’emprisonnement ferme pour les nouveaux faits de harcèlement puisqu’il encourt la peine maximale de 3 ans.
Le harcèlement constitué
Marie a été vue par la médecine légale, qui a relevé une interruption totale de travail de 6 jours, ce qui est assez rare dans un cas de harcèlement, comme le souligne la présidente du tribunal. C’est un des éléments de la prévention, une des choses que l’on reproche à Jules. Sa surveillance accrue, le fait de suivre sa femme, la rend hyper-vigilante, lui fait perdre le sommeil, l’appétit, lui fait craindre de sortir de chez elle de peur de le voir au loin. Une dégradation de ses conditions de vie et son altération physique et mentale, conséquence directe de l’infraction de harcèlement que commet Jules à son endroit. D’autant plus qu’il a une interdiction totale d’entrer en contact avec elle, de s’en approcher prononcée par la même magistrate le 3 mars dernier. Il se tient à distance mais il devrait ne plus du tout apparaître dans son entourage, tous les amis de Marie s’éloignent d’elle parce qu’ils l’estiment tous dangereux, et par ricochet que rester avec elle, l’aider, l’emmener au travail est également dangereux. Leurs enfants de 16, 15 et 8 ans sont eux aussi apeurés, et même s’il n’y a pas de coups depuis le mois de mars, Marie envisage de quitter son emploi de serveuse pour éviter des ennuis à ses collègues et son patron. « Elle pense qu’un jour, vous allez tuer quelqu’un, lui adresse la présidente à la lecture des procès-verbaux, elle a peur du nouveau dépôt de plainte qu’elle a déposé et des conséquences que cela peut avoir vis-à-vis de vous. Elle ne se sent plus en sécurité et craint que vous n’en veniez à la tuer elle, les enfants ou quelqu’un d’autre. La médecine légale dit qu’elle présente une anxiété anticipatoire de représailles, des troubles du sommeil, une hypervigilance habituelle et un stress post-traumatique. Même les témoins déclarent que vous êtes menaçant verbalement, que vous insistiez pour savoir comment elle était arrivée là, c’était la seule chose qui vous intéressait Monsieur. » Les faits sont simples, reconnus, constitués.
Deux sphères parallèles, beaucoup d’addiction
Face à tous ces éléments, Jules reconnaît, il ne nie pas du tout les faits, ni la téléphonie qui borne régulièrement devant le travail de Marie et aux abords de son domicile, il ne nie pas avoir fait un esclandre aux Mottets. Seulement il vit dans une autre réalité que Marie. Devant les enquêteurs, comme devant le tribunal, il ressasse son obsession, Marie a un amant, Marie est embrigadée, influencée par des gens qui sont jaloux de lui. Elle a une addiction aux jeux d’argent, et puis, oui, il reconnaît mais il l’aime. C’est sa femme, malgré la justice, malgré l’éloignement, c’est sa femme et il l’aime. En boucle. Ad libitem. Il espère encore une vie commune, retrouver son foyer, ses enfants, et bien sûr, Marie « quand le temps le permettra », avait-il indiqué aux enquêteurs, ce qu’il réitère à l’audience. Mais elle n’en a pas la moindre envie, assure son avocat, « une procédure de divorce va être engagée, et un consentement mutuel n’étant pas possible puisqu’ils sont tous deux d’origine cambodgienne, il ne serait pas reconnu auprès des autorités du Cambodge et de cela il n’en est pas question. » Si l’une a une addiction selon son futur ex-époux aux jeux d’argent, lui, c’est avéré, en a au moins deux connues : sa femme, et l’alcool. Un alcool qui le rend menaçant, violent même, selon les témoins et selon Marie elle-même. Pour lui, Marie est manipulée par son ami d’enfance, qui court après sa femme, qui serait devenu son amant. Aux Mottets, il voit rouge parce qu’il ne voit que les « amis des cartes » alors qu’il s’agit des collègues de Marie. Une addiction encore plus forte que l’alcool. « C’est automatique, reconnaît-il, pour moi quand je sors du travail je pense toujours à rentrer à la maison, à la voir, ça me fait souffrir d’être loin d’elle. » « Mais Monsieur vous parlez beaucoup de votre souffrance mais vous savez, Madame est aussi un être humain, elle a le droit de penser autrement que vous, on ne vous reproche pas de penser à votre femme, on ne peut pas vous empêcher d’y penser, ce qu’on vous reproche c’est par vos comportements de porter atteinte très négativement à sa santé. » explique avec pédagogie la présidente. Jules n’en démord pas, il reste bloqué sur la manipulation que sa femme subit selon lui, reste bloqué sur son amour pour elle et que rien ni personne ne pourra les séparer.
Des réquisitions et une peine mixte, mais le sursis tombe
Jules a un travail oui, mais pas de garanties de représentation : il dort dans sa voiture, n’a de contact avec aucun membre de sa famille, ne voit plus d’amis puisque tous ont apporté leur soutien à Marie. Les démarches avec l’assistante sociale pour obtenir un nouveau logement tardent, il voit ses enfants sur un parking pas très loin de chez Marie, rien qui tienne vraiment la route, face à un suivi d’application des peines si inexistant que le Jap** a émis un avis favorable à la révocation totale de son sursis probatoire. Cariste, il travaille surtout en intérim, de manière régulière, et cumule des dettes qui lui ont valu un fichage à la Banque de France. Vu son obligation de soins, notamment liée à sa consommation d’alcool, il a déjà vu l’association Le Pélican à deux reprises, mais ce n’est pas encore probant. Avant tout ça, Jules faisait partie d’une association cambodgienne où il était décrit comme gentil mais impulsif sous l’effet de la boisson, ce qui commence à faire beaucoup. « Vous n’avez pas réussi à faire le deuil de votre couple, et ça peut se concevoir Monsieur, quand quelqu’un est plus d’accord que l’autre, mais heureusement tous ne se retrouvent pas dans un box au tribunal » lui lance la Procureure au moment de ses réquisitions. « Je ne sais pas ce qu’il pourrait comprendre, j’étais moins pédagogue à la précédente audience, mais il faut que Monsieur entende qu’elle soit une victime, qu’elle ne vit plus, qu’elle n’ose plus sortir de chez elle, ni voir des amis ni travailler. J’ai la crainte qu’il ne se passe quelque chose de plus grave » a exposé avant elle, l’avocat de la partie civile, « ça va crescendo, chez Monsieur, il ne comprend pas et va de plus en plus loin. »
Alors partie civile et Parquet ont réclamé l’interdiction de paraître sur le département de la Savoie, ce à quoi la défense s’est associée. On l’a dit, les faits sont répétés, reconnus, caractérisés, les conséquences sur la victime reconnues et recoupées par certificat médical et témoignages. Ne restait qu’à se prononcer sur une peine. Car en France, la personnalisation de la peine est la règle, et pour Maître Roche, plaidant en défense, il fallait bien tenir compte de celle de son client. « On n’a jamais entendu parler de lui en 50 ans, on n’entend pas sa souffrance pourtant elle est là, elle est réelle : il a perdu sa femme, ses enfants, ses amis, sa maison, sa famille. il vit une descente aux enfers, a-t-elle estimé, on se parle de 20 ans de mariage, de la femme qu’il aime le plus au monde et pour laquelle il s’inquiète. Il voit qu’elle change, qu’elle joue de l’argent, qu’elle fréquente des gens qui consomment de l’alcool. En deux mois, elle le reconnaît il n’a pas cherché à entrer en contact. Il n’a pas pris la mesure de ses actes, il faut que la justice l’accompagne, le mettre derrière les barreaux ne va pas régler ses problèmes avec sa femme. » Il a toutefois fallu trancher.
Après une demi-heure de délibéré, le tribunal a reconnu Jules coupable des faits de harcèlement qui lui étaient reprochés et a révoqué partiellement le sursis probatoire, prononcé en mars dernier. En décernant un mandat de dépôt à l’audience, la juridiction a condamné Jules à aller directement accomplir sa peine de neuf mois d’emprisonnement ferme en détention, sans aménagement de peine, et en assortissant cette peine d’un sursis probatoire renforcé de deux ans, avec un suivi SPIP plus important. Parmi ses obligations, de travailler, de suivre des soins psychologiques et concernant son addiction, d’indemniser la victime, l’interdiction de paraître en Savoie et d’entrer en contact avec Marie. Mais comme une main tendue et contrairement aux réquisitions du Parquet, le tribunal n’a pas retiré l’autorité parentale à Jules, même s’il l’a condamné à verser 2000 euros pour le préjudice subi et 873 euros d’article 475-1 du CPP, pour les frais de défense. Marie pourra peut-être retrouver un peu le sommeil, Jules lui, sait maintenant que le sursis tombe, et qu’il peut faire très mal, plus mal encore que d’être séparé de celle qui ne veut plus de lui.
* Prénoms d’emprunt
** Le juge d’application des peines, saisi pour suivre les mesures du sursis probatoire.
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