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Entrelacs : la vie de Clément

Par Jérôme Bois • Publié le 22/07/22

Clément Chaussin, 20 ans, a vécu un moment rare, début juillet, lorsqu’il effectua ses premiers sauts en chute libre indoor à Windalps, à Méry. Extraordinaire car depuis plus de deux ans, le jeune homme est paraplégique, suite à un accident d’escalade. Hyperactif et positif, il a surmonté cette épreuve de la vie avec une épatante facilité pour s’adonner à tous les plaisirs que lui offre le sport. Une vie qu’il partage avec délice à travers les réseaux sociaux.

Le 12 mars 2020. Un jeudi. Celui où le président de la République annonça avec toute la gravité du monde que quatre jours plus tard, le pays serait plongé dans un confinement total. Un souvenir sans doute mitigé pour bien des Français mais que dire de ce qu’a vécu Clément ce jour-là ? « Il ne me restait que le vendredi de cours avant de partir en stage à Grenoble et probablement passer le confinement chez ma copine de l’époque ». C’est dans le Jura, à Moirans-en-Montagne, considérée comme la capitale du jouet en bois, qu’il étudiait l’ébénisterie, au lycée professionnel des arts du bois Pierre-Vernotte. C’est aussi là-bas que Clément avait ses habitudes.

La grimpette sur sa paroi favorite, qui le conduisait généralement 25 à 30 mètres plus haut, vers une corniche où le jeune homme aimait se poser et contempler la vue. « J’ai toujours grimpé, confie-t-il, tout ce que je trouvais. Vers 13, 14 ans, je grimpais sur des bâtiments. Un an plus tard, j’escaladais des façades, des grues… Mes parents s’inquiétaient, naturellement… » mais évidemment, Clément ne pouvait s’empêcher de partir à l’aventure. « J’ai tout appris tout seul : avoir trois appuis, les positions, comment coller mon corps à la paroi… J’ai appris à force de tomber et de me relever ». Quelques blessures n’entameront pas l’énergie du jeune homme. Ainsi, lorsqu’il escalade sa paroi fétiche ce jour-là, même sans harnais et sans sécurité, par principe, il assure chaque prise. « Je connaissais cette paroi par cœur. Et c’est comme si à chaque fois, tu grimpais pour la première fois. Tu fais attention à chaque prise, tu ne laisses rien au hasard ». Sauf que ce 12 mars, c’est la roche qui céda. Et ce qu’il a appris seul le sauva. « En redescendant, la roche cède, je tombe, de 10 mètres. Tu vois ta vie défiler, tu repenses à ta famille, tes amis, pour de vrai. Machinalement, j’ai donné un coup de bassin pour tenter de freiner » Là-dessus, son pied tape la paroi… le sol, et puis plus rien. « Ce n’est que bien plus tard que je me suis souvenu avoir hurlé. Au lycée, jusqu’au réfectoire, tout le monde m’a entendu ».

Allongé sur le dos, Clément a alors un réflexe, celui de se redresser seul. « J’ai senti que mes jambes étaient comme dissociées. Je me suis reposé, j’avais du mal à respirer. Un ami qui était venu avec moi a alerté le lycée, les pompiers se sont mis à 7 pour me porter jusqu’au véhicule parce que seul un chemin courait jusqu’à la paroi. Dans l’ambulance, on me shoote une première fois puis dans l’hélicoptère, une seconde fois ». Direction Besançon, hôpital adapté à ce type de traumatismes le plus proche même si on ignore tout, à cet instant, du diagnostic.

« J’ai trop bien géré »

A 115 kilomètres de là, à Entrelacs, les parents de Clément reçoivent un appel de l’infirmier du lycée. Comment ils en avaient reçu quelques-uns pour des bobos divers. Seulement, la gravité des faits conduit ses parents à prendre le nécessaire et à filer vers la préfecture du Doubs. Le diagnostic était sans appel : pneumothorax, fracture de vertèbres, rate explosée. A son réveil après 6h d’opération et devant ses parents qui venaient tout juste d’arriver en réanimation, il a alors ces mots, « j’ai trop bien géré ». « Oui, j’avais trop bien géré, se souvient-il, plus de deux ans plus tard. Le fait d’avoir tapé la paroi m’a permis de passer par dessus des roches sur lesquelles je me serais empalé ». Il positive tant bien que mal car le verdict des médecins sera lui aussi sans appel, la moelle est touchée, il ne remarchera jamais. « Clément s’en sort bien, abonde son père, car il y avait 90% que cette chute lui soit fatale. Il est paraplégique incomplet avec abdominaux. Il a récupéré une partie de la mobilité de ses jambes contrairement à ce qu’ont dit les médecins ». Loin de se démonter, Clément, lui, l’affirme haut et fort, « je remarcherai, je vais me battre ».

Après l’un de ses vols, à Windalps…

Son père, Cyril, l’assure, « il est très important qu’il ait conservé ses abdominaux, il n’a pas besoin d’appuis, même pour être assis, il conserve son gainage ». Il a ainsi pu se remobiliser assez vite, notamment dans l’optique des activités sportives auxquelles il s’adonnera par la suite. « Oui il s’est vite remobilisé. Moi, j’ai eu beaucoup de mal, j’ai mis du temps à encaisser, mon épouse a été plus forte », concède Cyril. Il lui faudra passer par une longue rééducation, passer par les escarres, ces plaies qui apparaissent sur les membres qui ont perdu trop de chair mais jamais, il n’aura à passer par le renoncement.

Souriant et solaire

Clément se met ainsi tout de suite en quête d’activités compatibles avec son handicap. Tour à tour, il teste la luge d’été, le runx au Semnoz, un VTT à 4 roues… « J’ai retrouvé des sensations et j’ai compris que je pouvais me remettre pleinement au sport ». Il enchaîne avec le parapente, le karting, le wakeboard… A ce sujet, « Clément a été invité à un stage en Espagne. Il mettait en ligne tout ce qu’il faisait, forcément, ça interpellait pas mal de gens, dont Olivier Forgerit » , sportif accompli, amputé du tibia gauche et partiellement paralysé de la jambe droite suite à un accident vasculaire, qui venait de créer une association destinée à promouvoir le wakeboard assis, le sitwake. « Il l’a trouvé souriant, solaire et a adoré ses vidéos », rembobine son père. Clément se voit ainsi offrir le châssis et la coque, lui doit s’acquitter de la planche . Et là, comme de coutume, il brûle les étapes, franchit les paliers, progresse à vue d’œil au point de bluffer ses camarades de jeu. Il est même à deux doigts de prendre part aux championnats de France. Insatiable, il teste le basket fauteuil avec Handisport Annécien qu’il a connu grâce à une autre association, Comme les autres, présidée par Michaël Jérémiasz. « Tous les ans, ils organisent des séjours en mixité pour les blessés médullaires (impliquant toute lésion à la moelle épinière, NDLR). Vous êtes hébergé à l’hôtel, vous découvrez des activités, vous apprenez l’autonomie. Lorsque vous en revenez, vous êtes une autre personne. En 2021, lorsque Clément y a participé, il y a avait de nombreux athlètes de haut niveau, dont Florence Masnada, Gevrise Emane… Handisport Annécien y était également, afin de faire découvrir le ski de fond assis » , relate Cyril. Les réseaux sociaux, dont Clément est friand, les liens entre associations, une formule qui fonctionne à plein.

« La chute libre, ce qui m’a donné le plus la sensation d’être normal »

Et c’est de cette façon qu’en taguant plusieurs associations dans un post dans lequel Clément disait vouloir s’essayer à la chute libre, il obtient la réponse immédiate de l’association Nos Ptites Etoiles qu’il avait rencontrée en septembre 2021 lors d’une séance de parapente à Doussard dans le cadre de l’opération « nos étoiles volantes ». « On ne s’est plus quittés, depuis » , sourit le jeune homme.

Au basket fauteuil, avec Handisport Annécien (@Nath Leroy)

C’est alors que fin juin et début juillet, Clément participe à plusieurs sessions de chute libre en indoor à Méry, à Windalps où, en une poignée de minutes et d’essais, il parvient à s’équilibrer seul, sans appui, à entrer et sortir seul du silo. « Je ne sens pas mon handicap lorsque je vole. La chute libre est ce qui m’a le plus donné la sensation d’être normal » , à tel point qu’en août, il devrait effectuer un saut en chute libre… depuis un avion à Corbas. Sans limite, Clément. « Je suis assez bête dans mon fonctionnement, quand on me dit, je fais » , plaisante-t-il. L’instinct du sportif conjugué à une volonté de fer et de faire en font un parfait exemple de résilience et de force intérieure.

En septembre, il escompte reprendre les cours dans la filière commerce vente à l’UFA Demotz, à Rumilly, en alternance même s’il lui faudra trouver une entreprise pour l’accueillir, « plutôt dans le domaine du sport, je me sens capable de conseiller n’importe qui pour n’importe quelle activité sportive » , estime Clément. Titulaire du permis B, autonome, bourré de vie et d’énergie, Clément n’a-t-il pas finalement puisé sa force dans son handicap ?

Clem toujours plus

Entreprise collégiale, l’association « Clem toujours plus » a pour objet de « trouver des fonds et promouvoir le handisport, mais pas celui que l’on connaît » , souligne Clément. « J’aimerais en outre proposer à des handi de louer du matériel et pourquoi pas d’organiser des sorties et des rassemblements pour partager nos expériences respectives ». Une association qu’il a donc créée avec ses parents, dont il loue la présence : « Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents aussi présents que les miens. Être livré à soi-même, c’est le pire. Si je peux aider d’autres handi à prendre l’avance que j’ai pu prendre durant ces deux années… »

Pour plus d’informations, rendez-vous sur Instagram et Facebook.

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1 commentaire

Tom

25/07/2022 à 13:24

Formidable !! Bravo jeune homme

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