article • 4 MIN

Vente possible de deux résidences autonomies, la ville et le CCAS de Chambéry pointés du doigt

Par Jérôme Bois • Publié le 30/08/22

Le service public une nouvelle fois menacé, aux dires de la CGT, le secteur social, en particulier, c’est l’affaire qui agite le petit monde chambérien jusqu’ici épargné de toute polémique durant l’été. Après l’épisode de la déconstruction du foyer des Epinettes, deux résidences autonomies gérées par le CCAS, Ma Joie et la Calamine, seraient susceptibles d’être rachetées par un groupe privé, faisant planer le spectre d’une gestion privée d’établissements jusqu’alors dans le giron public. L’effet Orpéa…

Info ou fantasme ? Analyse.

Que serait la rentrée sans sa polémique, sa grève, sa traditionnelle tourmente politique ? La crise couvait depuis début juillet, nous-mêmes avions été avertis de la situation le 25 juillet dernier mais rien n’avait transpiré, ni de la part des élus ni des agents, les syndicats eux-mêmes demeurant silencieux, à la grande surprise de certains observateurs. Mais ça, c’était avant. Comptes-rendus éventés, contenus de conversations révélés, interprétations en tout genre et nous voici avec une épineuse affaire sur les bras que la CGT a souhaité mettre sous les feux des projecteurs, mardi 30 août, au cours d’une conférence de presse.

« On étouffe le CCAS »

La résidence Ma Joie et ses 54 logements…

Le CCAS (centre communal d’action sociale), chahuté sous l’ancienne mandature après que sa subvention d’équilibre a été abaissée de 400 000 euros (3,9 millions au lieu de 4,3), vit de drôles de moments. 2 500 Chambériens sont quotidiennement suivis, 380 agents et de nombreux établissements (Ehpad, résidences autonomies, sociales…) sont sous gestion, le centre est un mastodonte subventionné à hauteur de 3,9 millions d’euros par la ville*. Sauf que la vente promise de Ma Joie et la Calamine** à des privés, jusqu’ici propriétés de Cristal Habitat, à qui le CCAS verse une redevance pour en assurer l’administration, vient relancer la ritournelle du « public bradé au privé ». De quoi faire bondir la CGT. « Depuis quelques mois, explique Frédéric Dhorne, nous voyons défiler des gens venus prendre des mesures. J’ai même pu m’infiltrer à une visite des lieux alors que parallèlement, rien n’a été dit aux agents ». Nous étions début juillet et la CGT venait de demander au maire de la ville, Thierry Repentin, par ailleurs président du CCAS, des explications sur ces rumeurs mais aussi sur l’environnement général du CCAS. Pour mémoire, la présente majorité avait, dès son arrivée aux manettes, demandé un audit à la société KPMG, réseau mondial de cabinets d’audit et d’expertise comptable, dont les conclusions avaient été rendues en mai 2021. « Le cabinet révélait, poursuit Frédéric Dhorne, qu’il manquait 400 000 euros dans ses caisses pour un fonctionnement normal alors que le CCAS agissait dans l’ensemble convenablement. En définitive, financièrement, on se retrouve en cumulé avec un déficit d’1,27 million d’euros alors que le CCAS fait bien son travail. On peut se poser des questions sur les années à venir. Clairement, on étouffe le CCAS ». De cet entretien avec Thierry Repentin, plus d’interrogations encore sont nées : « Il nous a répondu qu’il était en réflexion sur qui allait être choisi pour récupérer les murs des deux résidences ». En lice, la foncière médico-sociale Enéal (25 854 000 d’euros de chiffre d’affaires en 2020) et la fondation Alia, domiciliée à Bonneville en Haute-Savoie.

Déjà les Epinettes…

Il y avait déjà eu l’épisode du démantèlement des Epinettes, la plus grande résidence sociale de France, créé en 1977 « qui formait une micro société au sein de laquelle cohabitaient toutes sortes d’accidentés de la vie et des primo-arrivants de nationalités diverses, un lieu très cosmopolite. Le maire nous a dit que ce n’était pas à la ville de tout gérer ». L’annonce de sa déconstruction avait été éventée le 10 décembre 2021, à la suite d’une réunion « en catimini » , chaque résident ayant reçu la promesse d’être ré-hébergé. « Un nouveau projet immobilier devait voir le jour, avec deux fois plus de logements, en accession à la propriété avec, tout de même, un projet, porté par le CCAS, d’une pension de famille de 25 places au bord de la VRU aux portes de Bassens, pour les plus précaires ».

Isabelle Carrin, Frédéric Dhorne et Alain Goubet, de la CGT.

Pourquoi un tel démantèlement pour des locaux (là aussi propriétés de Cristal Habitat) de 180 logements accueillant 314 personnes et dont l’action fut estimée plus que louable ? « Par intérêt foncier » , rétorque Frédéric Dhorne. Un argument qui a fait bondir la vice-présidente du CCAS, Christelle Favetta-Sieyès : « Michel Dantin avait signé une fin de non-recevoir à Cristal Habitat lorsqu’il était maire de la ville. Cet établissement se situe hors du périmètre de Chambéry, juridiquement, sans un centre intercommunal d’action sociale (CIAS), on ne peut pas en assurer la gestion. C’était son droit car c’est la loi qui le dit ». Du reste, avec son million d’euros de budget de fonctionnement, l’établissement « aurait dû être un équipement d’agglomération » , reconnaissait la CGT***.

Puis vint la question des deux résidences autonomies, où vivent en location des résidents présentant un faible niveau de dépendance. Les visites sur ces deux sites, « vétustes, obsolètes, que personne ne souhaite rénover car le coût se chiffrerait à 8 millions d’euros » , rappelle Christelle Favetta-Sieyès, par les groupes intéressés renforcèrent la conviction que la chose est entendue, « le maire veut se débarrasser de la compétence résidence autonomie et le propriétaire veut vendre ». Rappelons que le président dudit propriétaire, Cristal Habitat, n’est autre que… Thierry Repentin lui-même. L’affaire devient virale quand le compte-rendu de l’entrevue entre la CGT et le maire, devant au préalable paraître fin août, sort quelques jours seulement après l’entretien, prenant ainsi les élus au dépourvu. L’urgence était cependant de ne pas paniquer les résidents. « Changer de propriétaires peut contrarier leurs habitudes, les travaux de réhabilitation pourraient provoquer jusqu’à des décès, occasionnant in fine des pertes financières » , avance Frédéric Dhorne. Le 28 juillet, par courrier, la vice-présidente du CCAS détaillait ainsi la situation aux agents : « Cristal Habitat s’interroge sur le maintien dans son patrimoine de Ma Joie et de la Calamine (…) Une réflexion est donc en cours pour savoir si un autre acteur ne serait pas mieux à même de financer les opérations de rénovations et de réhabilitation. Si c’est le cas, une vente pourrait intervenir venant forcément questionner le mode de gestion et le rôle du CCAS ». Elle indique par ailleurs vouloir rencontrer les agents début septembre dans chacun des deux sites en insistant qu’aucune communication se soit faite aux familles et résidents « alors que nous sommes encore en phase d’étude et de réflexion et qu’aucune décision n’est arrêtée ».

« Jamais, je ne porterai de délibération visant à ce que le CCAS se dessaisisse de la gestion des établissements concernés »

A droite, on s’active ! Pour Aloïs Chassot, ce courrier est la preuve manifeste que les deux établissement s’apprêtent à être vendus. « Ce sont plus que des rumeurs, estime l’élu d’opposition, si l’on change de propriétaire, de toute manière, les travaux devront être faits et il y aura des répercussions sur les loyers donc ça ne change rien. Et si l’on venait à déléguer la gestion de ces deux sites… Ce qui me pose problème dans ce courrier, c’est que madame Favetta-Sieyès semble renvoyer la balle à Cristal Habitat qui ne veut pas lancer les travaux. Or, Cristal, c’est le maire… » Les travaux de rénovation, indispensables, de l’ordre de 8 millions d’euros selon le CCAS, d’un montant bien inférieur selon la CGT, risquent d’augmenter substantiellement la redevance versée par le centre, et de facto, le loyer que les résidents paient au CCAS. Toute hausse, pour Aloïs Chassot, devant être absorbée « par la puissance publique » afin que les loyers « restent modérés ».

La Calamine (74 logements), située à Curial.

Elément que ne partage pas le syndicat CGT. « Le CCAS paie 6 000 euros de redevance à Cristal Habitat, ce qui couvre ce que le propriétaire investit. Or, il n’y a pas eu d’investissements depuis longtemps, ce montant est voué à diminuer encore et Cristal ne gagnera plus rien à garder ces sites dans son patrimoine ». D’où l’opportunité de vendre ? « Il y a une valeur foncière, ce peut donc être intéressant de refiler le bébé » , commente Frédéric Dhorne. « Cristal veut s’en débarrasser car ces deux résidences plombent ses comptes » , témoigne un membre du conseil d’administration, le regard tourné vers le maire de Chambéry, par ailleurs commune actionnaire à hauteur de 26,7% de Cristal.

Pour Christelle Favetta-Sieyès, il est inconcevable que le CCAS perde la gestion de ces résidences « sous peine de provoquer un trou dans la raquette, puisque nous couvrons toutes les étapes de la vie. Tout le monde, jusqu’ici, lie un potentiel changement de propriétaire à un potentiel changement de gestionnaire, ce n’est pas si simple car il faut alors faire voter, à l’unanimité, une délibération au conseil d’administration du CCAS visant à se dessaisir de la gestion de l’établissement. Ensuite, le Conseil départemental, qui est notre autorité de tutelle, doit valider la décision du CA et valider le nouveau gestionnaire ». Ce n’est donc pas gagné, loin s’en faut. « Je dispose d’un arrêté de délégation du maire, me délégant tout pouvoir, je peux décider de tout et jamais, en tant que VP du CCAS et conseillère départementale, membre de la commission des affaires sociales, je ne porterai de délibération visant à ce que le CCAS se dessaisisse de la gestion des établissements concernés ». En définitive, « il n’y a pas de sujet » même si cela viendrait à s’opposer aux éventuels souhaits de son maire****.

Ni elle ni son directeur, Gilles Baudoin, n’avaient été informés de la toute première visite d’Enéal, diligentée par Cristal Habitat…

* Sur ces 3,9 millions d’euros, 2,9 sont dirigés vers le budget principal, 247 000 euros à destination du service d’aide à domicile, 387 000 euros fléchés vers les trois Ehpad et 325 000 vers les deux résidences autonomies.

 

** La Calamine a été bâtie en 1965 et Ma Joie, en 1972. Il s’agit de lieux non médicalisés avec des espaces communs et une présence 24h sur 24. Les deux établissements sont aujourd’hui jugés obsolètes par le CCAS.

 

*** Dans le programme de campagne de Demain Chambéry, la liste commune listait les possibles marges de manœuvres à dégager, parmi lesquelles « la mutualisation d’équipements, de compétences et de ressources à l’échelle de l’agglomération ou de plusieurs communes ».

 

**** Contactée, la mairie n’a pas donné suite à notre appel.

Tous les commentaires

0 commentaire

Commenter