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Mouxy, les mystères de l’Est

Par Jérôme Bois • Publié le 28/09/22

Le 19 septembre a ajouté un nouveau chapitre à l’interminable feuilleton moussard : depuis plusieurs années, l’instabilité est la règle au sein du conseil municipal. De démissions en coups de colère, d’élections partielles en revirements, Mouxy a tout connu depuis 2014 et rien ni personne ne semble pouvoir remettre le train politique sur les rails car, nous dit-on, on n’a pas encore tout vu.

Entre Carlos Perez, adjoint en charge de l’urbanisme et des travaux, et Gabrielle Koehren, conseillère municipale de l’opposition, le temps n’était déjà pas au beau fixe avant que l’éclair ne frappe la salle du conseil lundi 19 septembre. Un orage grondait et il n’a fallu qu’une simple question (de pure forme) sur les états de service du premier nommé au sein de la société G Home pour que la coupe ne soit pleine : les quatre membres de la minorité – Gabrielle Koehren, Claude Burtin, Nathalie Debeaune et Nicolas Marc – allaient démissionner après que Carlos Perez a refusé de répondre, menaçant même le quatuor de poursuites en cas d’insistance. La coupe était pleine mais la réaction de la cheffe de file et ex-maire, battue en 2020, manquait de spontanéité. Car tout avait été décidé en amont. « Nous avions décidé de remettre notre démission après la séance, une fois la question posée » , résume un démissionnaire. Et il semble clair que pour l’ancienne édile (2016 – 2020), la page soit désormais tournée.

« Je vous souhaite bon courage »

« Lundi dernier (le 19, NDLR), nous fait remarquer un observateur de la vie politique moussarde, n’a été que le résultat de deux ans et demi de mépris. Dès le début, Perez ne voulait pas travailler avec elle ». L’intéressée n’a pas commenté son départ* tandis que l’un de ses colistiers, Claude Burtin, s’est fendu dans la foulée d’un courrier adressé aux autres élus : « Voici en quelques mots l’explication de ma décision : la dégradation de cette municipalité s’est accélérée. Aucune vision du territoire et une mauvaise intégration dans Grand-Lac, aucun consensus de travail, des élus amnésiques et des projets qui ne se pérennisent pas, une mauvaise gestion du budget communal, un groupe incompétent sur les questions d’urbanisme, deux élus qui n’ont pas compris leur rôle auprès des Moussards et un manque de courage politique pour exposer ses opinions ». Il conclura sa missive par un laconique « je vous souhaite bon courage ». Enième soubresaut dans la vie municipal locale, agitée de mille maux depuis des années et dont on peine à comprendre l’instabilité.

La séance du conseil du 198 septembre avait été particulièrement salée…

Depuis 2014 et la succession de Claude Quard, les élus se sont écharpés, ont démissionné, parfois massivement, au point de provoquer la tenue d’élections partielles en 2016, des personnes influentes se sont ingéniées à attiser le feu et en huit ans, trois maires ont tenté de tenir les rênes de la cité, sans un grand succès jusqu’ici : Tony Fazio (2014 – 2016), Gabrielle Koehren (2016 – 2020) et Laurent Filippi (depuis 2020). « Savez-vous combien il y a eu de maires, à Mouxy ? Seulement 18, 18 depuis 1861. Beaucoup d’hommes et de femmes ont partagé, au fil du temps, le même engagement pour organiser la vie de la commune, puis ont été oubliés » , exposait Laurent Filippi le soir de son intronisation, le jeudi 28 mai 2020. Quelque chose a bien changé après 153 ans de relative quiétude.

« Si Gabrielle Koehren sort du jeu, cela peut s’apaiser »

Pour comprendre ces récentes années d’impermanence, « il suffit de constater quel est le dénominateur commun depuis l’élection de 2014 » , souffle le maire Laurent Filippi. Oui, il y en a un, Gabrielle Koehren et pour le nouvel édile, pas de doute, elle est bien l’agitatrice de ces terres de l’est du bassin aixois. « Les termes » d’instabilité politique « sont-ils adaptés ? Ne s’agit-il pas de politique de déstabilisation ? Et en réponse de quoi ? Pour combler une absence de vision politique ? Un refus de jeu démocratique ? Du scrutin ? Ou alors l’expression d’une forme de mégalomanie ? Cela dessert l’intérêt général, libère une énergie contre-productive, jette un voile d’incompréhension voire de défiance auprès des électeurs et des élus dont les vocations se font encore plus rares » , ajoute Laurent Filippi. « Elle est effectivement clivante, commente notre observateur, elle a du caractère et en était arrivée à un point où il lui arrivait de perdre ses nerfs au sein du conseil ces derniers mois. Partir devenait inéluctable ».

L’état de grâce encore, pour Laurent Filippi ?

« Pour moi, clairement, ça vient d’elle, estime Ludovic Vulliermet, ex-élu moussard, elle est animée par l’envie de pouvoir et de revanche. Mais pas que ! Il y a toujours eu beaucoup de fortes personnalités à Mouxy, de grandes familles procédurières. La vie politique a été marquée par ces procédures et ces contentieux, ce qui a entraîné des haines entre personnes. Perez et Koehren se haïssent, comme s’il y avait une revanche à prendre sur le résultat des dernières élections. Là, si elle sort du jeu, ça peut s’arranger ».

« Si tu l’ennuies, elle te rentre dedans, même si je me souviens qu’avec elle, on travaillait bien. J’ai fait un super mandat face à elle » , se souvient Nathalie Gony, dans l’opposition entre 2016 et 2020, élue en 2020 avec l’actuelle majorité (lire plus bas) et démissionnaire en 2021… « J’étais son adjoint, poursuit Jacques Rivage, retiré de la vie publique, on se concertait, on faisait des réunions sur les gros dossiers. Il nous fallait remettre les finances à flot, on l’a fait ». L’agitatrice ne le serait donc pas tant que ça ? C’est ce que pense également l’une de ses colistières : « Son mandat avait été assez stable, je trouve. L’opposition (composée à l’époque de Ludovic Vulliermet, de Nathalie Gony, de Philippe Exertier et de Catherine Ravanne, NDLR) nous asticotait mais ça restait dans les règles. Le grand défaut de Gabrielle est qu’elle ne faisait pas de com’, elle n’en voulait pas. D’ailleurs, elle a attendu le dernier moment pour se déclarer en 2020, ce qui a pu lui coûter la victoire ».

Un maire mis en cause

Seulement, tout le monde ne partage pas l’avis selon lequel l’ex-maire serait la cause première des tourments de cette petite commune de 2 300 âmes : « Je ne sais pas s’il y a des raisons particulières à l’instabilité, je pense qu’il y a surtout eu des erreurs de casting dans le choix des personnes, détaille Nathalie Gony, qui a démissionné de son poste de 1re adjointe de Laurent Filippi le 19 mai 2021. Je n’avais pas voulu me présenter contre Gabrielle en 2020, mon souhait était d’être 1re adjointe. J’étais alors la plus ancienne des élus, je connaissais le fonctionnement des services, le personnel et j’ai demandé que l’on trouve une tête de liste. Au départ, je ne connaissais pas du tout Laurent Filippi ». Celui-là même qui figurait sur la liste de Jean-Albert Buisson en 2014, face à la liste de Tony Fazio, futur vainqueur. Et qui avait affronté Claude Quard à la fin des années 2000. « Sur le coup, je me dis que je le soutiendrai au maximum mais déjà, en campagne, j’ai senti qu’il était quelqu’un qui voyait le rôle de maire comme celui d’un chef d’entreprise ».

Agitatrice pour les uns, bosseuse pour les autres, Gabrielle Koehren ne laisse pas indifférent.

« Ce qui lui importe, à cette heure, écrivions-nous en février 2020 au sujet du candidat Filippi, c’est la méthode. La sienne sera donc calquée sur ses années d’expérience à la tête de grosses structures (…) Animer une équipe, il connaît ». Laurent Filippi admettait, à l’époque, que les séances du conseil se déroulaient invariablement « dans un climat de tension » et qu’il se ferait fort d’apaiser les choses, une fois élu. Un échec si l’on en croit Nathalie Gony. « L’équipe m’a déplu, les gens se critiquaient beaucoup, le maire a même découragé les deux anciennes secrétaires, dont la secrétaire générale de la mairie qui était là depuis Claude Quard (partie après 25 ans de services, NDLR). J’ai voulu partir parce que je ne voulais pas être solidaire de cela. Un peu comme cela s’était passé entre Salvatore Fazio et Gabrielle Koehren, sa 1re adjointe ». Une autre élue sera, dans l’anonymat, un peu plus directe : « Depuis 2020, c’est super compliqué. Il n’y a pas de travail avec cette équipe, il ne se passe rien ». Elle remet même sévèrement en cause la sincérité du maire et de certains de ses adjoints. « Pour moi il est manipulateur malgré une certaine prestance et une grande intelligence… »

« Je suis dégoûtée pour la commune… »

Peu rompu à l’action publique, Salvatore Fazio avait été l’invité surprise de l’élection de 2014. Président du comité des fêtes, mis en place, diront certains, par Dominique Dord lui-même, Fazio a mis peu de temps avant d’être contesté par un grand nombre d’élus, y compris de son propre camp. Il se dit que le soir de son élection, le nouvel édile avait blêmi, comme si le costume lui paraissait déjà trop grand, un peu comme Donald Trump en 2016, pris de court par une victoire que lui-même ne souhaitait pas. En deuxième position sur sa liste, une Gabrielle Koehren avec qui il ne s’entendra plus, au point que de démissions en démissions, dont celle, collective, remise par pas moins de 6 élus de l’équipe Fazio en janvier 2016, des élections partielles seront organisées et remportées par son ex 1re adjointe, le 24 avril 2016 (513 voix contre 364 à Tony Fazio).

Battue de 39 voix quatre ans plus tard, Gabrielle Koehren ne tardera pas à savonner la planche de son adversaire en déposant un recours en annulation et se justifiant ainsi dans nos colonnes, le 23 avril 2021 : « L’allocution du Président de la République juste avant les élections, écartant une partie de la population du scrutin, les injonctions contradictoires de rester chez soi, tout en maintenant le scrutin. Ce n’est pas du tout démocratique, ni égal pour tout le monde, je ne peux pas adhérer à cette situation, c’est un déni de démocratie, les chiffres en témoignent, l’abstention était plus importante de 18 points par rapport aux précédents scrutins, il faut une certaine cohérence, ils auraient pu anticiper ! »

Un premier caillou dans la chaussure de Laurent Filippi, certainement pas le dernier puisque quelques semaines seulement après l’élection, Laetitia Deville, colistière, rendra son tablier, peu de temps avant Nathalie Gony. « Natacha Dumaz ne vient plus car elle habite Annecy, et Pierre-Yves Manfredi a démissionné en mai avant de revenir sur sa décision » , souligne notre observateur. Sans oublier que le maire lui-même avait songé à jeter l’éponge. « Il aurait adressé sa lettre au préfet qui n’avait pas donné suite comme c’est toujours le cas la première fois », note Nathalie Gony. « Que l’on fasse le point au bout d’un certain temps, et que j’envisage de passer la main était prévu » , nous indiquait le maire en mars 2021. « Il faut se souvenir de cette première séance du conseil, lorsque le maire a directement attaqué Gabrielle en l’appelant madame Perroux » alors qu’elle avait précisé avoir souhaité conserver son nom de jeune fille. « Il y a entre eux une haine viscérale, insiste Nathalie Gony. Pour Laurent Filippi, elle est une tête à couper, moi je n’en pouvais plus. J’avais probablement une légitimité à être maire, rembobine-t-elle, je n’ai pas voulu y aller. Ce n’est pas un regret. Je suis seulement dégoûtée pour la commune, ses habitants. J’espère que ça se calmera ».

Une petite ville bien tranquille ?

Des listes d’oppositions depuis 2014 seulement

Si les problèmes de personnes ont alimenté la chronique moussarde, les causes de cette constante agitation peuvent aussi se trouver ailleurs, notamment dans la présence d’une opposition depuis… 2014 seulement. Depuis cette année-là, des listes s’affrontent car la commune avait passé le cap des 1 000 habitants. Avant, le scrutin était majoritaire et plurinominal. Ainsi Claude Quard n’avait eu à composer avec la moindre opposition. « Depuis, à chaque élection, on se retrouve avec une minorité et donc de nouveaux enjeux ». Et de sacrées prises de bec… Alimentées par quelques fortes personnalités proches de la vie publique moussardes, d’influents propriétaires, des électrons libres, des observateurs plus ou moins avisés… « Tout projet est source de polémiques, analyse Ludovic Vulliermet. Avec Claude, lors de son premier mandat, de 2001 à 2008, nous avions fait une école, le plateau sportif, on a lancé le centre-bourg, il avait fallu exproprier, ce n’était pas simple. Je remarque que depuis bientôt 10 ans, plus rien n’a été lancé. Mouxy fait partie de ces communes péri-urbaines avec des enjeux d’arbitrage importants, qui réclament autre chose que du catch politique, des combats fictifs. Pierre Exertier avait eu à reconstruire, Claude Quard, à bâtir, sur deux mandats cohérents. De grands projets ont été lancés, la ville est passée de 600 à presque 2 500 habitants. Et depuis, l’intérêt général n’a pas avancé ».

Un ancien élu, retiré de la vie politique depuis longtemps, s’interroge, quant à lui, sur l’évolution du jeu politique. « Il est devenu plus dur de prendre des décisions, les oppositions sont plus nombreuses, plus critiques. Je vais vous dire, je suis bien content d’avoir laissé tout cela derrière moi ». Au moins un Moussard paisiblement assis à l’écart du bruit et de la fureur.

* Le groupe « Pour Mouxy » a diffusé un message sur les réseaux sociaux pour justifier cette décision : « Les élus de la minorité ont fait part dernièrement de leur démission du conseil municipal. Il leur était devenu insupportable de côtoyer l’équipe de Mr Filippi avec laquelle ils ne partageaient aucune valeur. L’équipe en place c’est : une volonté récurrente de museler la minorité en réduisant son droit d’expression, sa représentativité au sein des commissions ainsi que les questions lors des conseils ; un manque d’information avec un adjoint qui dit clairement qu’il ne veut pas travailler avec la minorité et qu’il ne montrera pas les dossiers ; des mensonges et des accusations non fondés ; un manque flagrant de travail, des commissions qui tournent en boucle sans que rien n’avance ; un intérêt commun qui est supplanté par des intérêts personnels ; des conseillers et adjoints qui se servent de leur fonction au lieu d’être au service des administrés ; un manque de vision globale pour la commune et un maire qui n’est pas un leader ; des conseillers qui n’ont pas d’esprit critique et ne se posent aucune question ; une gestion financière dangereuse qui ne tardera pas à entraîner une augmentation d’impôts ».

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