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Justice : rocambolesque série d’infractions pour un Chambérien sous influence

Par Laura Campisano • Publié le 21/10/22

A l’audience de comparutions immédiates de ce jeudi 20 octobre, comparaissait un Chambérien à qui l’on reprochait une succession rocambolesque d’infractions commises le 15 août dernier entre Chambéry et Drumettaz-Clarafond. Des infractions commises sans que l’on ne saisisse bien le mobile, ni lui, ni son avocat, ni les parties civiles, mais qui ont eu des conséquences durables : un traumatisme important pour l’une, une peine de prison ferme pour l’autre. Récit d’une journée peu banale.

Ce lundi 15 août, au cœur de l’été a été le théâtre d’une succession d’événements incontrôlés et complétement incompréhensibles qui ont changé durablement l’existence de plusieurs personnes. Retour en trois actes sur un enchaînement incontrôlé perpétré par un homme sous influence.

Episodes sans queue ni tête en trois actes

Ce 15 août 2022, les caméras de vidéo-surveillance situées avenue Alsace-Lorraine à Chambéry filment un homme titubant, zonant même, revenant sur ses pas, tourner sur lui-même, comme désorienté, puis monter à bord d’une voiture venant de stationner. La conductrice descend, le véhicule repart à vive allure. C’est l’acte 1 de cette scène surréaliste. Il est 7h du matin quand cette aide-soignante du centre hospitalier de Chambéry se gare devant chez elle à la fin de sa nuit. Du balcon de son appartement, son conjoint peut la voir se garer, et il la voit cette fois sortir de la voiture en criant dans la rue. Un homme, celui qui titubait sur la vidéo-surveillance, est monté sans raison dans son véhicule, lui a directement asséné un coup de poing au visage. Par réflexe, elle tente de sortir, mais il la retient et lui ordonne de rester en passant devant elle un rasoir de barbier en la menaçant de l’égorger si elle bouge. Elle finit par réussir à s’extraire, il prend sa place côté conducteur et s’enfuit.

Dans la voiture, un Nissan Duke, le portable de l’aide-soignante permet à son mari de géolocaliser le trajet, d’en faire part à la police qui envoie une patrouille sur les traces de ce voleur de voiture visiblement sous l’empire d’un état alcoolique, au bas mot, selon la victime. L’homme poursuit sa course folle vers Aix-les-Bains, par la colline de Tresserve, alors qu’on apprendra en cours de procédure qu’il vit à deux pas de l’avenue Alsace-Lorraine à Chambéry. Aucune raison apparente pour cette fuite en avant. Au volant du véhicule volé, il a un accrochage avec une conductrice à Drumettaz-Clarafond et…sort pour dresser un constat. C’est l’acte deux.

Sur place, la police arrive : un équipage de deux agents qui n’a pas le loisir d’arriver discrètement puisque la conductrice percutée crie « Police ». L’homme au volant du Nissan Duke monte alors dans le véhicule et tente de s’enfuir… en marche arrière. Puisque rien n’a de sens, il tente le coup, jusqu’à s’encastrer dans un portail, alors que les policiers le somment de s’arrêter et de sortir du véhicule les mains en évidence. Ils sont obligés de faire feu, à cinq reprises, pour immobiliser le véhicule qu’ils voient, de leur point de vue, foncer sur eux en marche arrière sur un chemin qui ne leur laisse pas d’échappatoire. Encastré dans le portail, le suspect tente encore des manœuvres mais finit par être arrêté, par l’un des policiers ayant réussi à entrer côté passager, à le mettre en joue et à l’enjoindre de couper le moteur. Fin du troisième acte.

Aucun souvenir, aucune explication, ni expertise

A l’audience, tout le monde est d’accord sur un point : le prévenu, en dépit d’un casier judiciaire important, principalement pour des faits de vols, n’avait pas l’intention de renverser les policiers, qu’il n’a par ailleurs pas touché « matériellement ». Renvoyé devant le tribunal correctionnel dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, il n’en menait pas large. Après un renvoi sollicité par la défense pour obtenir une analyse toxicologique du prévenu laquelle n’a pas été ordonnée, le temps était venu de s’expliquer sur les faits qu’on lui reprochait et pour lesquels il était en état de récidive légale : vol avec violence, suivi d’incapacité n’excédant pas huit jours (vol du véhicule), séquestration (empêchant la conductrice du Nissan Duke de sortir de la voiture, durant une minute ou deux), violence aggravée par trois circonstances, suivie d’incapacité n’excédant pas huit jours (l’épisode avec les policiers), conduite d’un véhicule en ayant fait usage de substances classées comme stupéfiants et sous l’empire d’un état alcoolique et conduite d’un véhicule à une vitesse excessive eu égard aux circonstances.

Un cocktail explosif dont le prévenu n’a plus de souvenirs mais qu’il ne conteste pas, qu’il reconnaît sans ombrage, présentant ses excuses à la victime et expliquant ne pas comprendre comment il avait pu en arriver là, lui qui « se bagarrait, c’est vrai, mais avec des garçons, jamais une femme ». A l’audience, il obéit, écoute, tête baissée, visage marqué et quand le président lit la procédure, il semble réaliser l’étendue des dégâts, la porte par laquelle il est passé, les conséquences de ses actes. Quand la partie civile vient à la barre pour raconter son calvaire, sa peur de mourir sur le moment, sa sidération, ses nuits sans dormir, ses cauchemars, son agressivité, qu’elle ne se connaissait pas et la perte de sa joie de vivre, le prévenu est en pleurs. Quand le ministère public requiert à son encontre six ans d’emprisonnement ferme et la révocation totale d’un sursis probatoire précédent, il n’émet aucune protestation. Dans la salle, son fils et son frère sont attentifs et silencieux. Pas d’esclandre, pas de contestation. Le prévenu semble si déboussolé par ce dont il a été capable ce 15 août 2022 qu’il n’a d’autre mot que « désolé ». Mais pour la partie civile, il n’y a aucune explication, elle n’aura pas de réponse à cette question lancinante que tous à l’audience se posent « pourquoi voulait-il que je reste dans la voiture ? » Personne ne le sait. Comme personne n’explique qu’au volant d’une voiture volée, il s’arrête pour faire un constat, comme personne n’explique ce qu’il faisait sur cette avenue à 6h30 du matin à tourner sur lui-même avant de brandir un rasoir de barbier sorti d’une veste qui ne lui appartient même pas. Grégoire De Petiville, son avocat, regrette lui-même de n’avoir aucune réponse, même fantaisiste, à apporter à la partie civile, et également de n’avoir finalement pas été entendu dans sa demande d’expertise toxicologique du prévenu. « On n’a pas de véritable expertise toxicologique, pour comprendre si la combinaison des produits pris ensemble pouvait causer des troubles, s’il n’y avait pas d’autres produits, si cette prise était volontaire ou involontaire, a-t-il plaidé, pourquoi il a fait ça ? Les faits posent question. » 

Une qualification pénale discutée

Seule certitude, il a bien passé la soirée de la veille en boîte de nuit avec un ami prénommé Michaël, dont il portait la veste quand il a été arrêté. Avec lui, il a consommé de la vodka et pris de la cocaïne. De cela, il se souvient, et d’une substance dans son verre qui l’a totalement endormi durant plusieurs heures, tant et si bien qu’il a été réveillé au petit matin par le personnel qui devait fermer. « Il y avait une veste sur la banquette à côté de moi, je l’ai prise et je suis sorti ». Très tôt, il explique être sûr d’avoir été drogué, à son réveil, plus de trace de Michaël et de ses amies, il repart vers chez lui, du carré Curial à l’avenue Alsace-Lorraine, puisqu’il vit sur l’avenue du Grand-Verger. En garde à vue, après avoir expliqué aux enquêteurs ne se souvenir de rien, il va affirmer dans une deuxième audition que Michaël pourrait être l’auteur de ces faits. A l’audience, il évoque la substance dans son verre et l’endormissement en boîte de nuit avant de reprendre la route au petit matin, à pied. La suite est cette succession d’actes qui auraient pu tourner au drame, pour les victimes comme pour lui, par ailleurs.

C’est ce qui ressort des plaidoiries des avocats de partie civile mais aussi de la défense, imparable, qui décortique les infractions pour lesquelles son client est renvoyé devant le tribunal. Grégoire De Petiville soulève des problèmes de droit et réfute des réquisitions du Ministère Public de six années d’emprisonnement dont deux avec sursis probatoire durant deux ans, qu’il estime « inacceptables, pour des faits reconnus, par un homme qui tient des propos raisonnables qui fait preuve aujourd’hui d’empathie envers les victimes ? Je suis un peu agacé, on ne peut pas dire tout et son contraire, ce n’est pas un faux procès criminel que l’on juge aujourd’hui » a-t-il lancé après avoir entendu l’un des avocats de la partie civile parler de carjacking et l’avocat des policiers faire un parallèle avec une autre affaire où un agent avait été fauché par un véhicule en marche arrière. Sans minimiser ce qu’ont vécu les victimes « évidemment terrifiant », l’avocat de la défense a rappelé que « si on ne se base que sur la peine des parties civiles, il n’y a plus de limites, on part dans la surenchère, je vous parle ici évidemment de la personnalisation de la peine ». Pour le conseil, il n’y a pas de vol avec arme, puisque « l’arme n’a pas servi à voler le véhicule », cela ne semblait pas être l’objectif du prévenu, sans compter que les éléments constitutifs du vol avec violence et du vol avec séquestration sont les mêmes, « à un moment il faut choisir », estime-t-il. Tout comme la manœuvre irrationnelle de son client qui enclenche la marche arrière pour prendre la fuite, n’est pas constitutive de « violence aggravée par trois circonstances mais d’un refus d’obtempérer aggravé, il faut arrêter de caricaturer les faits, ils sont suffisamment graves. » a-t-il asséné.

La relativité du temps judiciaire

Bien sûr, il y a 17 mentions au casier judiciaire, « mais faut-il pour autant que la parole de mon client soit repoussée, rejetée ? » s’interroge l’avocat grenoblois. Dans une démonstration brillante, il a mis en avant le parcours d’un homme de presque 40 ans, père d’un enfant qu’il a eu à 20 ans et n’a plus vu durant 16 ans, avant l’an dernier après que sa compagne l’a quitté. Ce retour du fils l’a encouragé à reprendre sa vie en main, à travailler dans le bâtiment, avec fiches de paie à l’appui, à suivre ses rendez-vous au Pélican pour combattre ses addictions, dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire « pour devenir vraiment un père, quelqu’un qui donne des conseils. Et là, il voit la situation qui lui échappe, c’est une forme d’échec, il est rattrapé par ses démons, a plaidé Grégoire De Petiville. Ses démons, c’est  » la lueur de la défonce « dont a parlé Me Anthony Tona, avocat de l’aide-soignante et de son mari, en partie civile, dont la plaidoirie en toute sobriété a mis en avant la souffrance de sa cliente, laquelle deux mois après les faits, ne peut reprendre sa vie comme elle était auparavant. C’est ce comportement irrationnel, pointé méthodiquement par Me Olivier Connille en partie civile pour les deux policiers, venu expliquer que les tirs des agents sont  » des choses qui les affectent toujours, en plus du fait qu’ils réalisent la fragilité de leur vie «, réclamant des dommages et intérêts.

Tous ont été reçus en leurs constitutions de partie civile, et tous ont obtenu réparation, au terme d’une heure de délibéré. Comme l’avait demandé Me De Petiville, le prévenu a été « sanctionné d’une peine qui donne l’espoir » d’une rédemption prévue par l’article 130-1 du Code Pénal et qu’a verbalisé le principal intéressé : « Je suis désolé de ce qui s’est passé, je voudrais revenir en arrière mais je ne peux pas, a-t-il indiqué timidement, en prenant la parole en dernier comme l’exige la procédure, j’aimerais bien m’en sortir aussi, pour une fois. »

En-deçà des réquisitions du parquet, le tribunal l’a, comme prévu, déclaré coupable de l’ensemble des infractions qui lui étaient reprochées et retenu la récidive légale. Il a ainsi été condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement dont deux avec un sursis probatoire de deux ans, avec obligation de soins, de travail, d’indemnisation de la victime. Il lui est également interdit d’entrer en contact avec cette dernière, de passer son permis dans un délai d’un an, puisque celui-ci a été annulé à la barre. Une peine d’inéligibilité a été prononcée contre lui durant 5 ans, et son sursis précédent révoqué partiellement à hauteur d’une année. En une heure, sous l’emprise de la cocaïne, de l’alcool, et hors de lui-même, celui qui ne se souvient de rien a perdu gros : à présent, et pour quatre années ferme, (trois ans plus l’année de sursis révoquée), il lui faudra reconstruire un projet solide pour espérer rebondir. Pour les parties civiles, et surtout l’aide-soignante, le temps de la reconstruction risque d’être plus long, elle qui ne peut ni reprendre le volant, ni s’empêcher de sursauter au moindre claquement de porte. C’est toute la complexité de la relativité du temps judiciaire.

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