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Justice : délits routiers et parcours cabossés en comparution immédiate

Par Laura Campisano • Publié le 17/12/22

Jeudi 15 décembre en comparutions immédiates au Tribunal judiciaire de Chambéry, la justice du quotidien était rendue devant un public assidu. Parmi les affaires jugées, deux dossiers d’apparence simple de délits routiers, mais avec des parcours de vie cabossés d’auteurs aux casiers chargés, auxquels le tribunal correctionnel a choisi de ne pas (complètement) couper les ailes.

On appelle les audiences de comparution immédiate celles dont leurs auteurs sont présentés au procureur de la République à l’issue de leur garde à vue : le magistrat décide de l’opportunité des poursuites, c’est-à-dire de la suite à donner à un comportement délictueux. S’il est dans le cadre d’une récidive, ou si les faits ne posent pas de difficulté particulière (par exemple, si l’auteur des faits reconnaît l’infraction) le procureur peut décider de le renvoyer devant le tribunal correctionnel immédiatement après son déferrement (ce qui signifie juste après la présentation du prévenu au procureur). C’est le cas des deux affaires dont nous vous parlons aujourd’hui.

Course-poursuite avec les gendarmes… avant d’être arrêté par la police d’Aix-les-Bains

La lecture de la prévention est assez édifiante : refus d’obtempérer, défaut de permis, défaut de ceinture, téléphone portable au volant, un grand chelem en somme, pour ce jeune homme né en 1996, escorté par la police dans le box des prévenus au tribunal de Chambéry. Ce n’est pas la première fois qu’il comparaît, il est d’ailleurs en récidive légale. Mais ce n’est pas non plus un mauvais bougre : il reconnaît les faits, au volant d’une DS 3, alors qu’il n’a pas encore le permis qu’il est en train – enfin- de passer. Il a toujours été constant dans ses déclarations. Quand il voit s’approcher le 12 décembre dernier, des hommes porteurs d’une cagoule, il ignore qu’il s’agit de gendarmes, et malgré la voiture qui le prend en chasse avec les deux tons, il explique que cela pouvait être n’importe qui. Stupéfaction du côté du tribunal, incrédulité du côté du ministère public « Il fait ce qu’il veut, quand il veut, n’a aucune justification pour avoir conduit ce véhicule, au mépris de toute circulation routière se mettant lui et les autres en danger. » Ce n’est que lorsque la police l’arrête à Aix-les-Bains qu’il obtempère. L’uniforme, cette valeur sûre.

Le prévenu ne pense pas, quant à lui, avoir fait ce qu’il voulait quand il voulait, expliquant que « si j’avais su que c’étaient les gendarmes, je n’aurais pas conduit. Je reconnais tout, je n’ai aucune raison valable, il n’y avait pas d’urgence. J’ai fait une bêtise, c’est ce que vous voulez entendre » expose le jeune homme debout dans le box. Debout, sur ses deux jambes, ça ne lui est pas arrivé souvent ces trois dernières années. Ni consommateur de stupéfiant ou d’alcool, futur père d’un enfant à naître dans trois mois, il avait enfin obtenu son code et ne lui restent que trois heures de conduite pour pouvoir se présenter à l’examen du permis. Enfin. Car oui, il est coutumier du fait, et le tribunal l’avait condamné à une obligation de passer le permis mais sa santé en a décidé autrement. Depuis 2018, il est atteint d’une maladie neurologique nécessitant des soins lourds chaque mois en ambulatoire, équivalents à une chimiothérapie, en complément d’un traitement par médicaments. Sa dernière condamnation lui a été signifiée la veille car il se trouvait à l’hôpital le jour d’une audience… pour conduite sans permis.

Peut-être y aura-t-il un déclic, comme le soulignait son avocate, quand il deviendra père. Car sans formation professionnelle, vivant de minimas sociaux, en plus de sa situation de santé, le fait d’accueillir un enfant sera peut-être pour lui une porte de salut. Le tribunal l’a en tout cas entendu ainsi, en le condamnant à une peine aménageable de six mois avec maintien en détention et de 150 euros pour la contravention. A cela s’ajoutent les six mois de la condamnation précédente, signifiée le jour de sa présentation, la veille.

Un (gros) problème d’addiction

Trois grammes d’alcool dans le sang, c’est un chiffre conséquent, loin d’être anodin. Ce Chambérien, fan de rugby et issu d’une famille viticole de Montmélian, n’a plus de permis de conduire, ni d’assurance pour son véhicule Kangoo. Il est couvreur-désamianteur, père de deux enfants, en couple, ce qui pour un tribunal constitue de sérieuses garanties de représentation, un gage d’insertion même. Mais voilà, sur l’autre plateau de la balance, il présente un sérieux problème : l’alcool. Et ses 21 mentions au casier judiciaire en attestent. A le regarder dans le box, on ne voit pas chez lui une once de danger, pourtant le procureur l’assène : « C’est un délinquant de la route et il n’y a plus d’autre solution que la détention. »  

Revenons un peu en arrière : le 26 novembre dernier, les policiers interviennent sur un accident de la circulation, ou plutôt une voiture accidentée contre un mur. A côté du véhicule, un homme particulièrement ivre selon les policiers qui arrivent et qui témoignent que l’homme se cache derrière un mur et finit par confier qu’il était au volant. Placé en cellule de dégrisement, il sera relâché le lendemain, mais au cours de ses auditions il explique qu’il n’était pas au volant, mais que c’est l’un de ses amis, un certain Andreï qui s’y trouvait, le ramenant chez lui après une soirée dans un bar de Chambéry, et devant utiliser le véhicule pour son travail le lendemain. Ce 15 décembre, il est rappelé par le commissariat suite aux résultats de sa prise de sang, pour la mesure précise de son alcoolémie. A ce moment-là, l’homme sent le vent tourner et demande à être assisté d’un avocat de permanence.

Pour Pierre-Yves Michau, le procureur, l’homme a affabulé cette histoire de conducteur, il est seul aux abords du véhicule et la clé est dans sa poche quand les policiers arrivent. Pour Redha Lala-Bouahli, son avocat, quelques éléments ont été omis. D’abord la blessure que présente son client quand il est amené au commissariat : une bosse à la tête du côté droit, plausible s’il est bien le passager, car comme le souligne son conseil « s’il avait été conducteur il aurait été blessé de face dans la collision ». Si Andreï n’a pas été retrouvé par les enquêteurs, lui continue d’expliquer qu’il habite à Porte-Reine, sans pour autant avoir son numéro de téléphone ni son nom de famille. Bien plus, sa version n’a pas varié depuis sa garde à vue, il s’est rendu à la convocation, bref : Maître Lala-Bouahli plaide la relaxe sur la conduite en état alcoolique. Et surtout il démontre la solidité de la situation de son client, pour la première fois depuis longtemps. Vivant chez sa compagne, laquelle se bat pour lui, et est prête à l’embaucher si besoin, il a également entamé des recherches de cure, chose qu’il n’a jusqu’ici jamais tenté. Pour Me Lala-Bouahli, « la détention ferme (requise par le parquet pour 24 mois) est-elle la solution ? A sa sortie, son fils aura 14 ans, il n’aura pas résolu son problème d’alcool, son fils ne voudra peut-être plus le voir, il n’aura peut-être même plus de compagne ni de travail. Si vous décidez d’entrer en voie de condamnation, au moins permettez-lui de s’insérer dans la société, avec une peine pédagogique. Sa compagne se bat pour lui, j’espère qu’il se battra pour elle et pour son fils, dont il s’occupe et qu’il reçoit tous les quinze jours et la moitié des vacances scolaires. Lisez le rapport du SPIP, il fait tout ce qu’on lui dit, il va falloir qu’il se soigne mais il ne faut pas l’enterrer davantage. Votre rôle c’est bien entendu la répression mais c’est aussi la pédagogie. » a conclu l’avocat de la défense.

Reconnu coupable, l’homme est condamné à une peine de 24 mois dont 12 mois en sursis probatoire avec une obligation de soins sans révocation d’un précédent sursis. Les amendes elles, sont plus lourdes : 500 euros pour l’amende délictuelle et 250 euros pour la contravention. Quant aux demandes des parties civiles elles sont reçues en leur constitution mais renvoyées sur intérêts civils en mars 2023. Tête baissée, l’homme part en détention, malgré ses quelques derniers mots avant que la sanction tombe « je n’ai pas envie de retourner en prison, j’ai tout fait pour ne pas y retourner. » Cette fois, gageons qu’il s’agira de la dernière.

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1 commentaire

rion des faits

19/12/2022 à 18:21

Remarquable et judicieuse évocation des faits. l'humanité n'est pas oubliée. Les coupables ne sont pas matraqués l'espoir leur est proposé!

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