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Challes-les-Eaux : guerre des nerfs en cinémascope

Par Jérôme Bois • Publié le 13/02/23

Le cinéma le Challenger vit au rythme des soubresauts sanitaires et de la santé, aléatoire, du cinéma français en général, en quête de stabilité depuis une formidable année 2019 en termes de fréquentation. Sauf qu’en interne, le conseiller municipal délégué au cinéma, Patrick Estève, a fait l’objet d’une double plainte pour harcèlement moral. Et si sur un plan pénal, la plainte a été classée sans suite, celle déposée par une employée du cinéma auprès de la cellule harcèlement du centre de gestion de la fonction publique territoriale 73 le place dans une situation difficile vis-à-vis de la municipalité. Une guerre des nerfs, en somme.

Patrick Estève

Mercredi 8 février, en séance du conseil, le menu, peu copieux, indique le vote du budget primitif et, dans le même temps, celui du budget du cinéma. Rien d’exaltant à priori si l’on excepte la prise de parole d’un élu aux abois. Patrick Estève, 70 ans depuis le 3 février, une bonne quarantaine d’années de bons et loyaux services au sein de la municipalité challésienne et auprès du cinéma Le Challenger en particulier et figure locale, dresse un rapide bilan de situation de l’établissement qu’il chérit, géré par la ville et profite de cette tribune pour évoquer une affaire qui lui empoisonne la vie depuis plusieurs semaines. « A ce jour, je m’interroge… On vous l’a dit, j’ai eu la désagréable surprise d’être convoqué en gendarmerie le 16 janvier dernier suite à une plainte déposée pour harcèlement moral. J’ai 70 ans, élu depuis 1977, je m’occupe du cinéma depuis 40 ans. Le dossier est classé sans suite, je m’en doutais, mais ce n’est pas très agréable. Avant mon audition, je ne savais pas pour quoi j’étais attaqué ». Parmi les autres conseillers régnait le silence, sa prise de parole ne fera l’objet d’aucun commentaire et l’on repassera ensuite aux affaires courantes. Un coup pour rien ? « Je suis inquiet pour l’avenir du cinéma » , conclura-t-il, sibyllin.

Figure locale

Pour comprendre l’origine de ce laconique message, il faut faire un grand bond en arrière. Patrick Estève, fils de gendarme, jouit d’un patronyme reconnu dans la cité et deux élus, un beau jour de 1974, viennent le démarcher pour préparer la campagne municipale de 1977 de Michel Maurin. C’est à partir de son deuxième mandat, entre 1983 et 1989, que Patrick Estève prendra la délégation relative à la gestion du cinéma. « Je m’occupais de tout sauf des projections, confiera-t-il, c’était une fonction bénévole ». Le troisième mandat Maurin sera interrompu et poursuivi par Daniel Grosjean en 1992, un poste qu’il ne quittera plus jusqu’en 2018. Et ce dernier comptera Patrick parmi ses fidèles.

Le cinéma Le Challenger

Et lorsque Josette Rémy reprendra le flambeau, c’est tout naturellement qu’il la suivra en 2018 d’abord puis en 2020, lors de la dernière campagne municipale. « Je n’ai rien négocié, je suis reparti, les 15 dernières années, je n’étais que conseiller délégué, ça m’allait très bien ». Jusqu’en 2007, une association gérait le cinéma, association dont il était le président. Par la suite, il fera venir un régisseur qui, une dizaine d’années plus tard, en 2015, se mettra en arrêt maladie. « On a cherché quelqu’un par le biais de la fonction territoriale, pour prendre la relève, mais je n’ai trouvé personne ». Et compte tenu des besoins – nous étions alors en pleine sortie nationale et le cinéma ne désemplissait pas – Patrick s’oriente vers une ancienne employée au guichet de l’Astrée. « Tout se passait bien au début » , dit-il, sauf que pour l’occasion, il ne prend pas soin de se renseigner auprès d’anciens employeurs comme il le fit pour le régisseur. « Il y avait l’urgence » , s’excusera-t-il. Et Patrick « perd la main » , comme il l’avouera par la suite. Divergences de vue, incompatibilité d’humeur et de vision pour le fonctionnement du cinéma, l’élu fait part de ses inquiétudes en municipalité, en réunion en comité restreint. Et lors de cette réunion, l’employée, qui y participait, s’emportera après une question portant sur des justificatifs de frais de déplacement. « Là, pour elle, ça devient ‘lui ou moi’. Sur le coup, personne ne moufte, elle se met en arrêt ». L’agent en question l’est toujours à cette heure.

« Pour moi, il est hors de question de démissionner »

Mais l’affaire ne s’arrêtera pas là puisque dans la foulée, elle dépose une plainte auprès du centre de gestion de la fonction publique territoriale de Savoie, qui possède une cellule dite « de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement, d’agissements sexistes, de menaces ou de tout autre acte d’intimidation ».

La cellule de signalement dispose d’un formulaire de saisine, qui a servi à l’employée du cinéma contre Patrick Estève.

Une obligation depuis le décret du 13 mars 2020 relatif au dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes dans la fonction publique. Malgré tout, l’équipe municipale repartira pour un tour en 2020, dont Patrick Estève, l’élu se verra attribuer les mêmes délégations, chose que le centre de gestion n’aurait que peu apprécié étant donné que l’affaire était antérieure à l’élection. Et le point d’orgue de cette histoire surviendra en décembre 2022, le 15 plus précisément. Selon nos information, le 1er adjoint, Julien Donzel, demande à rencontrer Patrick Estève, sur une demande de Madame le maire datant du 12 décembre, afin de lui signifier qu’il doit démissionner de sa délégation*. Car l’une des préconisation du centre de gestion, suite à la plainte, est « la mise en sécurité de l’agent ». En d’autres termes, il apparaît impossible, désormais, de la faire cohabiter avec l’élu. « Pour moi, il était et il est toujours hors de question de démissionner » , souffle ce dernier.

Mais au plus fort de la tempête, il apprend qu’une plainte a également été déposée en gendarmerie, pour harcèlement moral, toujours. Josette Rémy sera convoquée, tout comme la directrice générale des services et le régisseur du Challenger. Le 11 janvier, après la séance du conseil municipal, en privé et en l’absence de l’intéressé, le maire lira aux élus le courrier du CDG 73 présentant les diverses préconisations liées à cette affaire. Le 16, Patrick sera auditionné par la gendarmerie et ne cachera pas sa surprise. Cinq jours plus tard, la plainte sera classée sans suite. « Parmi ces préconisations, confie Josette Rémy, il y avait la mise en sécurité de l’agent. Cette procédure n’a rien à voir avec celle classée par la gendarmerie. Quant au courrier, il a été présenté aux élus dans un cadre privé. Maintenant, nous attendons simplement de connaître les suites qui seront données à cette affaire ». Un stand by qui ne fait les affaires de personne. « On veut me retirer ma délégation, jure Patrick, on veut se débarrasser de moi et on profite de cette histoire pour le faire. Je suis isolé, je sais avec qui je dois parler ». Car il a plusieurs mois, au cours d’une discussion avec Josette Rémy, Patrick s’emporte et menace de révéler certaines affaires au grand jour.

Après une absence volontaire de deux mois, depuis mi décembre, après s’être vu signifier par la gendarmerie qu’il ne devait plus se rendre en mairie le temps du traitement de l’affaire, après avoir refusé une convocation du maire fin décembre « car je ne voulais pas avoir à faire avec un tribunal » , l’élu a fait une réapparition remarquée en séance, le 8 février. Pour quel résultat ?

* Le retrait de délégation peut se signifier simplement par arrêté du maire. Le maire n’est alors pas tenu de motiver formellement sa décision.

Tous les commentaires

2 commentaires

Dominique

14/02/2023 à 17:11

Courage à Monsieur Esteve. Le cinéma est un bel outil et il serait triste de voir ce service se dégrader à cause de conflits personnels n'ayant rien à voir avec la vie municipale.
Une lecture d'une lettre devant les élus dans un cadre privé ? Madame le Maire connait elle la signification du mot "privé" ?
A très vite au Challenger !

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NORAZ

05/03/2023 à 18:13

Patrick, je le connais depuis longtemps, puisque j'ai fait un mandat d'élue avec lui entre 1983 et 1989.
Je l'apprécie et je sais qu'il fait énormément et sans compter pour la commune de Challes.
C'est grâce à lui que nous avons la chance d'avoir une salle de cinéma.
Merci à lui et bonne continuation en temps que délégué du Challenger.

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