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Thermes de Challes-les-Eaux : « Le groupe a tout tenté pour sauver l’établissement thermal »

Par Jérôme Bois • Publié le 28/02/23

Qu’on se le dise, il n’y aura pas de miracle pour les thermes de Challes-les-Eaux. Elles ne rouvriront pas en dépit des incantations, des pétitions, de la grogne d’une partie de la population et de la mobilisation des élus. Depuis de nombreuses années, l’établissement challésien était en souffrance, la faute à une fréquentation chutant ostensiblement du fait d’une tendance nationale à la baisse concernant les cures ORL en particulier, conjuguée à la montée des prix de l’énergie. Fermer était inéluctable, confirme Matthieu Clodong, directeur juridique de la Chaîne thermale du Soleil. Explications.

A l’heure où la population de Challes-les-Eaux comme de nombreux élus réclament des comptes, tandis qu’un cahier de doléances a été ouvert en mairie et que les messages de soutien affluent de toutes parts, le groupe « la Chaîne thermale du Soleil » s’explique sur les raisons d’une inéluctable fermeture.

 

L’annonce de cette fermeture est survenue de façon trop brutale, pour une grande partie de la population…

 

Il y a un contexte dégradé depuis 7 ou 8 ans au moins autour des cures orientées dans les voies respiratoires qui subissent un déclin assez marqué et une baisse des prescriptions. De 2017 à 2022, le nombre de cures ORL a été divisé par deux, une baisse indéniable qui touche tous les établissements thermaux et pas seulement Challes-les-Eaux. Il s’agit d’un fait totalement étranger à la Chaîne thermale du soleil.

Quant à l’orientation gynécologique, la fréquentation s’élevait à 513 cures dans toute la France ! Les gens tombent toujours de leur chaise en l’apprenant. Certes, Challes est un fleuron en la matière, avec 120 curistes. Mais reste le leader d’une faible activité. La décision a donc été prise en février lorsque l’on a constaté qu’en 2023, bien après le Covid, les réservations étaient encore plus en recul qu’auparavant. Comment rouvrir un établissement après un tel effondrement ?

 

Vous avez donc attendu le tout dernier moment, en regardant l’évolution des réservations, avant de vous décider ?

 

Tout à fait. A l’issue de la dernière saison, Nous avons voulu nous laisser une chance et Challes figurait dans notre catalogue papier. Mais février 2023 a tout bouleversé avec l’effondrement des réservations ORL et gynécologiques. Sur 2022, nous perdons 600 000 euros rien qu’à Challes. Avec le coût de l’énergie qui augmente, sachant qu’un établissement thermal est grand consommateur d’énergie et que le tarif des cures n’augmentait pas dans les mêmes proportions, il devenait compliqué de poursuivre. Avec moins de 500 curistes, on se projette sur un niveau de pertes évalué à 900 000 euros avec aucun espoir de retournement. Nous avons donc expliqué la situation aux cinq salariés.

 

Mais n’était-il pas possible de prévenir de la situation en amont ?

 

Le groupe publie ses comptes. Et tout le monde à Challes a pu constater que la fréquentation ne cessait de baisser. A un moment donné, il y a un opérateur économique qui doit savoir trancher. Cela fait en outre longtemps qu’il n’y a plus d’acteurs socio-professionnels qui vivent uniquement du thermalisme à Challes. Même notre activité hébergement est déficitaire alors que nous avons cinq studios à louer. Je trouve par conséquent assez facile de nous reprocher d’avoir été trop brutaux dans notre décision. Elle a été prise à un instant T. Elle a été immédiate, oui, instantanée, pas brutale. Et une fois qu’elle est prise, elle est prise.

« Nos pertes cumulées à Challes s’élèvent à 6,4 millions d’euros »

La Chaîne thermale avait consenti un investi de 900 000 euros pour chercher un forage. Il a échoué et nous n’avons pas pu bénéficier d’une nouvelle ressource afin de développer un pôle rhumatologie. On n’a pas pris la décision de fermer de gaieté de cœur vu que nous sommes ici dans un établissement historique.

Au-delà du forage, nous avons entretenu les locaux. Les pertes cumulées sur Challes s’élèvent à 6,4 millions d’euros. Je ne connais pas d’autre groupe dans le thermalisme qui se soit autant investi que nous. Il y a un plan thermal mis en place par la Région*, il permet le financement d’établissements dont la vocation est en phase ascendante. Là, nous sommes face à un établissement en grande difficulté et on savait qu’il y aurait très peu de possibilités de redressement.

 

C’est paradoxalement la municipalité qui est ciblée par les critiques, le comprenez-vous ?

 

Nous sommes en relation, nous avons informé Madame le maire, je ne vois vraiment pas quel grief adresser à la ville. Le défaut d’intervention des pouvoirs publics ? Mais que voulez-vous qu’ils fassent, à la mairie ?

 

L’émotion est grande, depuis cette annonce, la défense du patrimoine historique anime les gens

 

Il faut être pragmatique et volontariste, la fermeture de Challes est la conséquence de 50% de fréquentation en moins en voies respiratoires. Et je ne sais pas vous mais moi, je serais heureux d’apprendre que certains soins ne sont plus nécessaires parce que la médecine progresse. Le fait qu’il n’y ait plus que 500 curistes, c’est peut-être le signe qu’on a fait des progrès dans le traitement des pathologies respiratoires. Moins de fréquentation, c’est peut-être aussi un signal positif. Même si ça n’atténue pas l’amertume des Challésiens.

 

Est-ce qu’en contrepartie, il serait possible de commercialiser cette eau particulière, chargée en soufre, que l’on trouve à Challes ?

 

Pas du tout ! Cette eau fait l’objet d’un régime strict, nous sommes à la limite avec le médicament. Il faut une étude hydrogéologique de 3 à 5 ans au moins, afin de démontrer que cette eau est stable et pure. Puis, une étude thérapeutique est nécessaire pour démontrer que cette eau justifie une prise en charge dans tel ou tel secteur de soins. Chaque eau thermale est spécifique, chaque eau a un profil physio-chimique différent, ce n’est pas une eau minérale. Enfin, une eau doit être testée sur le plan dermatologique.

 

La ville pourrait-elle assumer la gestion de ces thermes ?

 

Cette compétence relève du propriétaire de la ressource. Ce n’est pas une compétence communale. C’est le modèle généralisé et c’est un vrai métier, impliquant une contrainte financière complexe.

Une cure dure 18 jours sur les 21 prescrits puisqu’on enlève les dimanches : il faut au minimum 4 soins par jour, avec un peignoir et une serviette par jour par curiste, une eau naturellement pure, toujours contrôlée car l’eau ne peut pas être modifiée à des fins thermaux. La condition pour devenir établissement thermal est de bénéficier d’une eau naturelle à 100%. Il faut enfin un établissement en parfait état de sécurité sanitaire. Savez combien coûte une cure ?

 

Non.

 

570 euros en moyenne pour trois semaines, c’est le tarif de la Sécurité sociale**. Le seuil de rentabilité d’un établissement est au minimum de 3 000 curistes. Nous en étions loin.

 

Et combien coûte à l’opérateur une cure de trois semaines pour une personne ?

 

Il est impossible de le dire mais pour un petit établissement, ce sera bien sûr beaucoup plus cher. De façon générale, il peut y avoir des subventions d’équilibre venant des pouvoirs publics. Mais nous sommes tous contribuables et comptables des deniers publics, il y a donc une logique de responsabilité à prendre en compte vis-à-vis des gens qui doivent payer les dettes.

« Le groupe a voulu aller au bout… »

On parle beaucoup d’un temps de cure trop long ; les gens ne seraient plus disposés à des soins de trois semaines…

 

Le marché est à – 24% par rapport à 2019. Est-ce une donnée relative à la sortie du Covid ou une nouvelle tendance ? Les gens sont de plus en plus attentifs aux soins de courtes durées. Mais comme ces soins ne sont pas au tarif conventionné, il faut donc avoir plus de moyens.

 

Un collectif d’habitants réclame une réunion publique pour expliquer très clairement la situation ; pourriez-vous y participer si vous y étiez invité ?

 

La pédagogie passe par des médiums comme vous, les médias. Je ne suis pas là pour me substituer à eux. La Chaîne thermale du Soleil a eu une attitude responsable, a respecté la législation en vigueur, travaille en constant partenariat avec les collectivités territoriales. Ce collectif, pour quoi s’est-il créé ?

 

Pour dire non à cette fermeture et pour informer de la situation.

 

Être contre, c’est bien mais proposez plutôt une solution pour parvenir à un équilibre économique. Ou alors vous acceptez que vos impôts financent un établissement déficitaire. Il faut proposer des solutions tenables et réalistes. A quoi bon prendre part à un groupe qui ne propose rien ? Ce n’est plus un dialogue, à ce moment. Nous voulons bien, par contre, dialoguer avec des gens qui ont des propositions à formuler. Il faut vraiment se dire que la Chaîne thermale a voulu aller au bout du bout avec l’établissement de Challes.

 

Il n’existe aucune possibilité de retour en arrière ?

 

Non, aucune. Nous allons donc collaborer avec la ville pour que le bâtiment et le terrain puissent avoir une nouvelle vie. En toute objectivité, le groupe a tout tenté. 900 000 euros pour un forage destiné au départ à développer une orientation rhumatologique, c’est colossal***. La géologie, ce n’est pas des petites échelles, ce sont des volumes énormes. Il faut être modeste sur l’hydrogéologie, c’est une science exacte, mais sans certitude…

* Le premier volet du plan thermal de la Région avait été imaginé en 2016, en vue de financer la modernisation des stations thermales du territoire et d’améliorer l’accueil des curistes. En 2020, le 2e volet de ce plan a été lancé en vue d’accompagner, aux côtés des fédérations Rhône-Alpes Thermal et Thermauvergne, et des acteurs de la filière, les stations thermales dans leur proposition de prestations globales et personnalisées, avant, pendant et surtout après le séjour. le soutien sur la période 2020-2024 s’élève à 20 millions d’euros.

 

** La Sécurité sociale ne rembourse que les cures conventionnées 18 jours sous réserve qu’elle soit prescrite par un médecin. Elle doit durer 18 jours, 6 jours sur 7 (pas de soins le dimanche). Les cures thermales plus courtes, telles que les mini-cures thermales (6 jours de soins) ne sont, elles, pas éligibles au remboursement.

A noter que la part du thermalisme médical représente 0,15% du total des prestations de remboursement effectuées par l’Assurance Maladie.

 

*** Le forage a échoué à cause de la présence d’une poche de méthane pur, gaz extrêmement inflammable, pouvant provoquer un incendie instantané.

 

Le PCF du bassin chambérien au créneau

Via un communiqué diffusé lundi 27 février, le PCF du bassin chambérien s’est ému de la fermeture des thermes de Challes-les-Eaux et suggère que l’établissement passe sous gestion publique. Extraits.

Au-delà de la sauvegarde des 5 emplois directs et ceux des saisonniers de l’établissement géré par la Chaîne thermale du Soleil, indique le communiqué, ce sont aussi des emplois indirects (commerces, locations de logements, transports…) qui sont impactés. Pourquoi cette fermeture alors que le groupe faisait plusieurs millions d’euros de bénéfice chaque année ? Les investissements de rénovation ont-ils été importants ? En plus de cela, nous posons quelques problématiques de fonds qui méritent des réponses aux patients qui se rendent dans ces cures thermales, mais aussi aux habitants de Challes-les-Eaux.

Les cures thermales, autrefois remboursées par la Sécurité sociale, sont une solution préventive aux maladies. La cure thermale était une autre idée de la médecine. Une médecine fondée sur la prévention et le bien-être. Cette approche de soin préventif doit rester du domaine public et accessible à toutes et tous avec une qualité de service de haut niveau. L’argument du groupe thermal sur la baisse unique du nombre de curistes pour fermer Challes-les-Eaux n’est pas recevable du point de vue de la santé publique.

Le PCF propose que les thermes de Challes-les-Eaux soient repris en gestion publique, de rembourser les cures thermales par la Sécurité sociale et d’améliorer la qualité des soins thermaux pour les patients.

Tous les commentaires

2 commentaires

DUPRAZ

28/02/2023 à 21:04

Ils sont marrant les cocos !!!

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Cavagnis Yann

01/03/2023 à 14:54

Bel article qui nous expose le point de vue de la Chaîne.
C'est important d'avoir les 2 points de vue pour pouvoir se forger une opinion.
Merci pour votre travail.

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