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Chambéry : la renaissance du musée Savoisien
Par Laura Campisano • Publié le 27/04/23
Cela faisait huit ans que tout le monde l’attendait. Retardée par la crise sanitaire, la réouverture du nouveau musée Savoisien a enfin eu lieu, ce jeudi 27 avril, après des travaux titanesques et une volonté farouche des équipes qui ont œuvré à rendre les lieux modernes, lumineux, spacieux, et surtout contemporains. Patrimoine savoyard et cultures locales s’y retrouvent, pour renseigner les habitants sur leur histoire et la richesse de leur territoire.
Implanté au cœur de la capitale de la Savoie en 1913, c’est peu de dire que sa réouverture en 2023 est chargée de symbole : le musée Savoisien, niché au creux d’un couvent franciscain du XIIIe siècle, accolé à la cathédrale Saint-François-de-Sales, a retrouvé son éclat. Mieux encore, il semblerait qu’il soit encore plus étincelant qu’à l’époque où les écoliers chambériens se pressaient pour en visiter les trésors. Labellisé musée de France, il est passé de musée municipal à départemental en 2012, et les travaux de sa rénovation totale ont démarré en 2019. Retardée par la crise sanitaire, la réouverture de ce bâtiment de 4 000 m² au public sonne le retour d’un accès des Savoyards à leur culture, leur patrimoine et leur histoire, depuis le Paléolithique. Rien que ça.
Plus d’une aventure avant la réouverture
S’il a fallu du temps pour qu’il dévoile tous ses secrets, le musée Savoisien a révélé plus d’une aventure au cours des quatre années de travaux entrepris par les équipes de Pascal Prunet, Adeline Rispal, ainsi que celle du musée menée par Marie-Anne Guérin, conservatrice en chef du patrimoine et directrice du musée et Sébastien Gosselin, directeur adjoint responsable de l’unité collections historiques. Deux campagnes de fouilles archéologiques ont été nécessaires, réalisées par Archeodunum de novembre 2018 à février 2020. En effet, les archives avaient brûlé lors de l’incendie du château des ducs de Savoie en 1798, c’est ainsi qu’avec les fouilles ont été mises au jour une trentaine de sépultures, hommes, femmes et enfants, la plus ancienne datant de la seconde moitié du XIIIe siècle, une clef de coffret, des carreaux de poêle du XVe siècle… mais ce ne sont pas les seules découvertes que recèlent ces travaux. « Le sol de Chambéry étant très humide, les latrines sur lesquelles nous avons eu la chance de tomber sont restées humides depuis le Moyen-Âge, démarre Sébastien Gosselin, tout était donc très bien conservé. On a trouvé du verre du XIVe siècle, une assiette en étain, des carreaux de poêle, deux écuelles et demi en bois, ce sont des choses qui n’arrivent jamais d’habitude. On a même pu avoir une étude de la flore intestinale des usagers des latrines ! On n’a pas encore les conclusions mais c’est un peu de la science-fiction, de se dire qu’on peut étudier ça ! L’archéologue qui a fouillé nous a confirmé que cela se sentait qu’elles étaient restées humides depuis le XIVe siècle et que ce n’était pas le moment le plus agréable mais vu les résultats, il était quand même très content ! » En effet, comme les latrines servaient également de vide-ordures, de nombreux squelettes de chats ont été retrouvés, ce qui semble assez rare également… « Le caviar des archéologues » aura encore bien mérité son nom !
Autre découverte incroyable, exposée dans le nouveau Musée, une pirogue retrouvée au fond du lac du Bourget en 2002. « C’est une aventure formidable qui commence en 2002, nous explique Sébastien Gosselin, où deux plongeurs amateurs trouvent cette pirogue à la pointe de l’Ardre, à Brison-Saint-Innocent. Ils en parlent à un archéologue spécialiste de l’archéologie des lacs, qui la date du haut-Moyen-âge. On en entend parler lors d’une exposition temporaire que nous organisons à Aiguebelette en 2015, sur les sites archéologiques des lacs. C’était une période pour laquelle nous avions très peu d’objets et nous avions très envie de montrer au public à quel point l’archéologie des lacs est riche. C’est là que l’on commence à travailler sur la scénographie, pour voir si elle peut trouver sa place dans le musée et que l’on se lance dans l’aventure de la faire sortir du lac. » Pour ce faire, alors que la pirogue mesure 6 mètres de long et est plongée à 32 mètres de profondeur, la construction d’une cage métallique a été nécessaire. « Ce que nous ne savions pas c’est qu’en-dessous de 30 mètres de profondeur, il faut un brevet spécifique, reprend le directeur adjoint, il a donc fallu trouver les plongeurs, l’archéologue capable de plonger, qui ont fait remonter la caisse que nous avons ensuite tractée jusqu’au port d’Aix-les-Bains à l’aide d’une grue. Là elle a tout de suite été prise en charge par ARC-Nucléart à Grenoble, spécialiste du bois gorgé d’eau. Elle est restée humide, car des linges ont été disposés pour qu’entre Aix et Grenoble elle ne sèche pas, avant un très long traitement d’imprégnation pour qu’elle arrête de se déformer. » La suite a été une lyophilisation, que seul ce laboratoire est capable de faire en un tenant en Europe. « Les autres laboratoires auraient été obligés de la couper en deux, ce que nous ne voulions pas bien entendu. Mais ensuite il a fallu la faire revenir au musée, sauf qu’elle ne passait ni par la porte, ni par les fenêtres. Donc avec l’architecte, on a élargi un passage dans la façade au 2e étage, ce qui était assez périlleux vu que nous avions constaté que la plupart des murs étaient très instables. Quant à la vitrine, elle pèse 300 kg pour 7 mètres de long…et ne passait pas non plus autrement que par la façade ! Et il a fallu également vérifier la température de la vitrine une fois posée pour éviter que la pirogue ne se déforme. C’était une petite aventure qui a nécessité une énergie collective. »
Défense d’ivoire
D’autant que cette découverte a eu lieu au temps de l’ancien musée Savoisien, qui était alors encore municipal… et où a eu lieu un vol assez rocambolesque. En effet, en 1992, un petit volet de diptyque en ivoire est dérobé, provenant du trésor de l’abbaye de Tamié, et représentant le Christ apparaissant à Marie-Madeleine après sa résurrection et datant du XIVe siècle, tout comme les peintures de Cruet. « Ce petit ivoire, une fois dérobé est acheté par un habitant de La Haye, auprès d’un antiquaire de Haarlem en 1995, nous explique Sébastien Gosselin. L’acheteur est de bonne foi et pense acquérir un ivoire sur le marché de l’art. A sa mort, ses enfants décident de vendre un certain nombre d’objets, et le marchand d’art auquel ils font appel leur dit qu’il a été volé. Ces deux particuliers nous ont donc recontactés et il y a quinze jours, nous sommes allés le récupérer à La Haye. C’est vraiment le cadeau de réouverture ! » s’est enthousiasmé le directeur-adjoint.
Enfin, mais la liste n’est pas exhaustive, une restauration de 36 des 63 portraits de la Maison de Savoie a également révélé une surprise de taille : sous l’un d’entre eux, un 37e portrait s’est dévoilé, celui de Victor-Amédée III, roi de Sardaigne au XVIIIe siècle. « La restauratrice a trouvé un carton sous l’un des portraits, assez instable, explique avec gourmandise Sébastien Gosselin, elle enlève le carton et une forme fantomatique a commencé à apparaître. D’abord un œil, puis progressivement un portrait supplémentaire. Il s’agissait de Victor-Amédée III. Notre hypothèse est que cette série a dû rester dans un château d’une famille rattachée à la Maison de Savoie et au fil des règnes ils rajoutaient un portrait. Celui-ci on l’avait déjà dans la série, donc comme ils l’avaient en double ils l’avaient caché sous un autre. Pour nous ces petites aventures dans la grande ont été un plaisir à vivre, on ne s’est vraiment pas ennuyés pendant toutes ces années de fermeture c’était vraiment incroyable ! » a-t-il conclu.
« Un grand moment de fierté, d’histoire et de culture »
Pour les élus également, cette réouverture est signe d’une nouvelle aventure. Hervé Gaymard, président du département de la Savoie qui avait milité pour que le musée soit en entrée libre pour tous a été entendu. « Il pourra attirer un large public, notamment les familles, les enfants, qui pourront découvrir un chalet d’alpage, ainsi qu’un chalet de montagne Arc 700, a-t-il détaillé, de cette manière le public pourra s’approprier la vie des gens, leur quotidien familial. Mon souhait est que le musée Savoisien soit une tête de réseau de toutes les musées de Savoie et alpins, y compris jusqu’à Turin. »
De son côté, Renaud Beretti, vice-président en charge de la culture au département s’est montré également très enthousiaste devant « cette réussite esthétique en soi » que représente le nouveau musée. « C’est un grand moment de fierté, d’histoire et de culture, a-t-il exprimé, quand j’étais écolier je suis allé à l’ancien musée, et aujourd’hui c’est un aboutissement, et nous souhaitons qu’il participe au rayonnement de la Savoie, qu’il serve de référence, de repère, le musée des musées de Savoie. » Particularité du musée, qui a désormais récupéré les appartements de l’évêché, les collections seront amenées à bouger, de manière nomade pour que la visite soit toujours mouvante.
Situé au cœur du centre ville « il permet une nouvelle déambulation pour renouer avec l’histoire de Chambéry » pour Renaud Beretti, qui attend avec une certaine impatience l’arrivée de la maquette interactive du musée. « Elle permettra d’expliquer au visiteur quel qu’il soit ce qu’est la Savoie : un pays minier comme le Val d’Aoste, une vision en plusieurs dimensions, du sous-sol aux reliefs, l’eau, la mine, la neige… C’est un investissement important mais pour qu’il soit visité il faut qu’il soit accessible, pour que les gens se réapproprient leur culture. »
Une totale immersion dans la culture de Savoie
Créé avec des matériaux bio-sourcé, étudié pour que l’éclairage soit adéquat, spacieux pour accueillir tous les publics y compris les personnes à mobilité réduite, contemporain, le musée Savoisien peut aussi se visiter en ligne, avec des objets totalement inédits et visiblement uniquement par ce biais. Toute l’histoire de la Savoie retracée, sa culture et ses spécificités, son folklore, ses croyances, ses costumes aussi, rien n’a été omis et de nombreux ateliers vont permettre aux visiteurs de s’immerger dans la culture de leur département : métiers à tisser, petits-déjeuners au musée, expositions temporaires et collections permanentes, des jeux pour les enfants, des visites rencontres… tout a été mis en œuvre pour attirer les foules. La dernière année de son ouverture en 2014, l’ancienne version du musée Savoisien a accueilli environ 25 000 visiteurs parmi lesquels pas moins de 2 000 scolaires. Majoritairement savoyard (60%) le public était au rendez-vous, mais il peut encore faire mieux. En effet, le département s’est fixé un objectif de 40 000 visiteurs par an, mais surtout « de tisser des liens, de susciter de l’engouement autour de notre histoire, notre patrimoine », rappelait Hervé Gaymard, citant André Malraux au moment de la création du ministère de la Culture pour s’élever contre une culture trop « élitiste ».
Le 27 avril, un parterre d’officiels et d’élus locaux, d’historiens et de guides se sont réunis dès 9h pour découvrir ce nouvel écrin du patrimoine savoyard, tout en musique et en sourires. Et pour cause, tous fêtaient la renaissance d’un musée séculaire ! C’est ouvert !
Le musée Savoisien se situe Place Métropole à Chambéry, ouverture au public le 29 avril, de 10h à 18h tous les jours sauf le mardi
Entrée libre pour tous, cloître en accès libre, ouvert le midi
Pour une visite en ligne du musée : Musée savoisien 2023 – Accueil – Patrimoines savoie.fr
Exposition temporaire « immersions » du 29 avril au 31 décembre 2023
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1 commentaire
DUPRAZ
05/05/2023 à 22:01
"...les latrines sur lesquelles nous avons eu la chance de tomber sont restées humides depuis le Moyen-Âge,..."
savoureux !