Il n’y a même pas une semaine, une info, assez peu répandue sinon sur Twitter et principalement parmi les suiveurs d’extrême gauche, m’a bousculé à un niveau que je ne soupçonnais pas. Eric Anceau, historien, relaie, le 15 avril, sur son profil un article du Frankfurter Allgemeine Zeitung évoquant Emmanuel Macron et l’instabilité politique ici bas.
De Néron à Macron
N’étant pas germaniste – j’avais choisi latin contre mon gré en 4e – je ne m’intéresse pas au contenu de la page intégralement diffusée (ce qui me hérisse le poil occipital, d’ordinaire) à proprement parler. Le post dudit Anceau, par contre, attire mon attention : « Le quotidien allemand très respecté Frankfurter Allgemeine compare Macron à Néron qui fit de Rome un champ de ruines ! Et Néron était fou… Quelle image de notre pays et de notre président à l’étranger ! » Au motif qu’il est question, dans cet article de « champ de ruines ». L’historien fait aussitôt le rapprochement – audacieux – avec l’empereur romain Néron, célèbre pour avoir cédé à la haine après la mort de son précepteur Burrhus. L’incendie de Rome lui sera (injustement ?) imputé, au fil des siècles. Quel rapport avec Macron me direz-vous ? Et l’historien de répondre : le champs de ruines évoquait Rome incendiée. Limpide. Sauf que l’auteure de l’article elle-même, Michaela Wiegel, interviendra en ces termes : « Non, le Frankfurter Allgemeine Zeitung ne compare pas le président Emmanuel Macron à Néron comme un tweet malveillant le prétend ». A l’intéressé, elle supplie : « S’il vous plaît, cessez de répandre cette fausse information. Lisez le texte, il n’est pas fait mention de Néron » mais d’Agnan, personnage du Petit Nicolas, « le premier de classe, qui agace car il sait tout sur tout ». Si Anceau se fendra d’un mea culpa partiel, son tweet sera pourtant largement relayé. Et Clémentine Autain, députée Nupes, ne se fera pas prier. « Macron, le président des ruines » , gazouillera-t-elle, le 16 avril.
215 700 vues plus tard, son tweet, en dépit de l’intervention de l’auteure, demeure bien visible. Et les fans de la première heure ont fait plus que s’en réjouir. Pensez donc, le président honni, conchié jusqu’hors de nos frontières…
Ce pitoyable épisode de la vie numérique de nos élites n’est qu’un exemple de plus, finalement, d’une évolution à laquelle nous, médias, sommes confrontés : la vérité ne compte plus. Elle n’est qu’une information supplémentaire sujette à caution selon l’auteur, ses origines sociales, ses préférences politiques, la couleur de son média et selon, surtout, ce qu’elle va provoquer chez le récepteur. Clémentine est bien davantage intéressée par les likes, commentaires et partages suscités par son post que par la vérité, qui, avouons-le, ne l’arrange présentement guère, n’en déplaise à Michaela. L’émotion, l’instantané, le ressenti immédiat ont pris le relais et rien n’est plus important que de pouvoir l’exprimer. La vérité ? Pour quoi faire puisqu’elle m’incommode ?
Le doute n’est plus permis
Nous avons à bien des reprises tenté, ici même, de rectifier certaines informations qui nous parvenaient, incomplètes parfois, fausses trop souvent. Le décès de Lakhdar Bey, le jour de son expulsion d’un squat insalubre qu’il occupait avec sa famille, en juillet 2019, occasionnant une émotion intense à Chambéry, devait faire l’objet d’une étude plus poussée des faits, du contexte, des circonstances. Les accusations formulées à l’encontre des forces de police présentes ce jour-là, du maire de l’époque et des services sociaux (y compris par un média local) étaient largement infondées, du moins allait-on le découvrir, au fil de notre enquête. Nous venions de remettre l’église au centre du village. Du moins le pensait-on. Car les critiques furent aussi sévères que les remerciements ont été nourris pour cette remise en perspective. Nous devenions, à travers des euphémismes choisis, soudain insensibles à la souffrance endurée par cette famille. Nous étions devenus des monstres, à la solde d’une violence institutionnelle routinière dont sont victimes les masses laborieuses. Nous faisions le jeu de l’establishment. Le Petit Reporter, média « dominant », selon l’expression consacrée.
Bien plus récemment, une prétendue affaire de violence policière survenue ici-même, lors d’une manifestation récente contre la réforme des retraites, et sur laquelle j’ai longuement investigué avant de baisser pavillon devant le nombre de portes qui m’ont été claquées au nez, m’a valu de jolis sobriquets sur la toile. Raciste, transphobe, macroniste (une insulte, vraiment ?)… Remettre en doute un témoignage qui ne reposait sur rien de tangible mais devenu viral sur la toile (un article diffusé sur Twitter à plus d’un million de vues, excusez du peu), c’était remettre en cause l’idéologie anti-policière, anti-macroniste, sans doute anti-libérale, très en vogue… Pour les internautes, présents ou non sur les lieux le jour du tir malheureux, mes questions étaient une provocation, la vérité était là, sous mes yeux, ne reposant que sur la foi d’un témoignage (indiscuté par ces gens) d’ado à l’existence elle-même douteuse, mais relayé par tous les canaux possibles. Fieffé suppôt du gouvernement j’étais. Et même si tout m’incite à penser encore aujourd’hui qu’il s’agit d’un fake total, cette tentative de débunkage, je le sais, n’aurait accouché d’aucun mea culpa, car la vérité ne compte plus quand le bénéfice du fake est trop important. Un million de vues, pensez donc…
Hurler un fake, le répéter jusqu’à en faire une vérité
La voici, l’expression de cette société du ressenti, dans laquelle mon indignation justifie la prise en compte par tous de mes états d’âme, dans laquelle ma colère justifie les casses, dans laquelle ma conviction prévaut. Un ressenti est par nature indiscutable, c’est là toute sa force. Mais il n’est qu’un ressenti, une photographie à un instant T. C’est toute sa faiblesse.
A quoi sert-on, nous autres, plumitifs, si la vérité n’est plus bonne à dire ? A quoi sert-il de traquer les fausses informations qui circulent en roue libre sur tous les médias de France tant qu’elles confortent l’émotion et les ressentis de chacun ? Pourquoi perdre du temps à chercher des heures durant (des jours !) la vérité tandis que l’information brute, elle, aura fait son chemin dans les arcanes du net et aura essaimé dans nos cerveaux si réceptifs et prompts à gober ce qui nous arrange, nous fait du bien, nous indigne épouse nos convictions ? Hurler un fake, le répéter jusqu’à plus soif en fait une vérité, c’est une nouvelle norme à laquelle nous devons désormais tous nous habituer. Et ne pas se laisser piéger demande un effort auquel plus grand monde ne consent. Les cellules de traques mises en place par nombre de médias sont maintenant perçues comme des soutiens à ces élites honnies et se voient accusées de copuler avec, dans une parfaite inversion des valeurs.
Au moment où j’écris ces lignes, le tweet de Clémentine Autain, n’a toujours pas été supprimé.
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1 commentaire
BLANC G
21/04/2023 à 22:39
Bof, plus besoin d'intelligence humaine, de journalistes, de recul, d'esprit critique, de vérification .... "l'intelligence" artificielle et instantanée arrive pour nous "impuber" en infos continues et "gratuites"(contre notre servitude volontaire). Plus vite, plus simple, plus gros, plus insipide, plus digeste, plus consensuel, plus pulsionnel...voilà le progrès de l'info, non ? Bienvenue dans le meilleur des Monde ...