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Homo Footicus

Par Jérôme Bois • Publié le 15/05/23

Pour la cinquième année consécutive, la journée de lutte contre les discriminations envers les personnes LGBT s’est étendue jusqu’aux terrains de football, ce weekend, avec l’opération « Homos ou hétéros, on porte tous le même maillot ». L’arc-en-ciel floqué au dos du maillot et le cérémonial d’avant-match pour une bonne cause. Que l’on s’entende bien, il s’agit d’une initiative visant à lutter contre les discriminations dans la société et le sport puisque dans le foot, le rugby et les sports collectifs en particulier, l’homosexualité se vit mal, sous le manteau, de peur de sortir des rangs et de susciter l’émoi d’un vestiaire dans lequel le sexe, la religion et les salaires occupent tout l’espace. Et non pour promouvoir l’homosexualité, comme de trop nombreux joueurs semblent encore le penser.

Pourtant, ce weekend, nos footeux auront tout foiré et dans les grandes largeurs.

Valeurs à géométrie variable

Imagine-t-on les mêmes débats pour une journée de lutte contre le racisme ? Qui aurait osé, il y a trois ans, ne pas poser un genou à terre pour dénoncer le sort de Georges Floyd, tué sous les coups de la police de l’autre côté de l’Atlantique ? Certes, l’aspect unanimiste de ces opérations de com’ passe-partout peut prêter à sourire (ça ne résout rien et ça ne change pas les mentalités façonnées par toute une vie de convictions). Certes, seuls comptent la pédagogie et le travail de fond et pas uniquement dans le cadre de cette journée de sensibilisation. Mais le milieu du football a une nouvelle fois étalé son hermétisme aux yeux du monde. Rien de très nouveau, il nous a tant habitué à cela. En 1999, le défenseur argentin Eduardo Berizzo débarquait à l’OM avec la lourde tâche de remplacer Laurent Blanc, parti vers l’Inter Milan. Moins d’un an plus tard, il quittera club en ayant ces mots : « J’ai quitté l’OM car il y avait trop d’homosexuels dans l’équipe, je préfère taquiner le ballon avec un drogué plutôt qu’avec un homosexuel ». Rien que de l’ordinaire au pays du ballon rond.

Samedi et dimanche, de nombreux joueurs ont ainsi refusé de se vêtir du maillot floqué aux couleurs LGBT, à Toulouse (3 joueurs), à Nantes (1 joueur), à Guingamp (1 joueur), sans parler de ceux qui se sont tus mais qui n’en pensent pas moins, telle une majorité silencieuse. Les motifs invoqués sont délirants. Zakaria Aboukhlal, révélation toulousaine de la saison et musulman très pratiquant, a motivé ce refus en se drapant de ces valeurs qui lui sont chères et qu’il nous faudrait respecter envers et contre tout. « Avant tout, je tiens à souligner que j’ai la plus haute estime pour chaque individu, quels que soient ses préférences personnelles, son genre, sa religion ou son vécu ». Ouf ! Il poursuit : « Le respect est une valeur que j’estime beaucoup ». Re ouf ! « Il s’étend aux autres mais comprend également le respect de mes propres croyances personnelles. Par conséquent, je ne crois pas être la personne la plus appropriée pour participer à cette campagne. (J’espère que) ma décision sera respectée, tout comme mon souhait que tout le monde soit traité avec respect. » Aïe ! Ou quand les valeurs particulières prévalent sur les luttes collectives et le bien commun. Ce joueur n’a cependant rien eu à dire sur la présence d’un site de paris en ligne sur le haut de sa tunique, tout au long de la saison, des paris honnis par l’Islam… En outre, la lutte contre les discriminations ne relève pas de la croyance, ce qui opacifie d’autant plus son propos qui in fine n’appelle qu’à légitimer son intolérance.

Le respect dans toutes les bouches

Mostafa Mohamed, attaquant du FC Nantes, explique respecter « toutes les croyances, convictions et différences » mais quand même, faudrait pas pousser. « Vu mes racines, ma culture, l’importance de mes convictions et croyances, il n’était pas possible pour moi de participer à cette campagne. J’espère que ma décision sera respectée, tout comme mon souhait de ne pas polémiquer à ce sujet et que tout le monde soit traité avec respect. » Ceci étant, selon Ouest France, le joueur et sa famille auraient déjà reçu des menaces lors du ramadan, d’où ce parti pris. Le respect, écrit sur les manches des maillots des équipes nationales, est cuisiné à toutes les sauces, et les joueurs semblent bien capables de l’écrire sans toutefois en connaître la définition.

Si l’on se tourne vers les entraîneurs, premiers éducateurs, rien de mieux, sinon cette complaisance pour un obscurantisme voilé. Eric Roy, entraîneur de Brest, en lutte pour le maintien, avec Nantes (qui jouait contre Toulouse et ses joueurs absents), s’est ému non pas de l’opportunité ou du bienfondé de cette journée mais de son positionnement à cette période de l’année : « La programmation de cette journée de lutte contre l’homophobie ? C’est catastrophique. On voit bien qu’il y a des joueurs à qui ça pose problème. Après, chacun est libre de ses opinions. Personnellement ça ne me pose pas problème. Mais il y a des joueurs à qui ça peut poser problème. Donc quand tu sais que ça peut être un problème pour les joueurs… ce n’est pas que cette année, on se rappelle de Gana Gueye (ex-joueur du PSG qui avait par deux fois prétexté une indisposition pour ne pas jouer lors de cette opération, NDLR). A partir de là, ne le fais pas dans les trois derniers matchs, où tu sais qu’il y a des matchs pour la survie des clubs! Fais-le en décembre, en septembre… C’est très bien que la Ligue s’engage, même si elle doit surtout s’occuper du football, réagit l’entraîneur brestois après avoir été relancé sur le sujet. Mais si tu le fais… Moi personnellement, je ne suis pas content qu’à Toulouse, il y ait cinq joueurs qui ne jouent pas contre Nantes ! Cinq joueurs qui ne vont pas jouer parce que cette problématique les gêne, et ils jouent contre Nantes, qui se bat avec nous pour se maintenir. Est-ce équitable ? Non ce n’est pas équitable. Et c’est une responsabilité de la Ligue d’avoir placé cette journée à ce moment-là. Je suis pour faire des actions, pas de soucis. Mais il y a peut-être des moments, pour les placer, plus adéquats qu’un sprint final, dans les trois ou quatre derniers matchs ». Au-delà du fond assez pathétique de ce propos, rappelons que la journée mondiale contre l’homophobie tombe le 17 mai. Sans doute, pour satisfaire ce monsieur aurait-il fallu placer cette journée de championnat en catimini un soir de novembre… Que des joueurs soient ennuyés par cette initiative ? Qu’importe, seuls comptent la mathématique et le maintien en Ligue 1. Lunaire.

Le « Oui, mais… » tout puissant

Bruno Génésio, le coach rennais, s’est, quant à lui, carrément interrogé sur le pourquoi d’une opération de ce type, pure communication et dont les contours pédagogiques demeurent encore indistincts (Y’a-t-il une ou plusieurs séances explicatives préalables à cette opération ?), ce qui peut s’entendre, donc, mais à travers des propos plus que maladroits. « Personnellement je suis contre toutes les formes de discrimination. Il n’y a pas de place pour les discriminations dans le foot comme dans la vie. Mais je pense aussi que nous sommes là pour jouer au foot et c’est ça qui est le plus important. Chacun est libre de penser et faire ce qu’il veut. Je vous le dis on est contre toutes les formes de discriminations mais je ne suis pas certain que ce soit nécessaire de faire une journée contre l’homophobie. Je pense qu’on a tous conscience de ça et que ce n’est pas la peine de vouloir afficher tout le temps… On peut aussi avoir plein d’autres causes pour lesquelles on pourrait avoir plein de maillots différents toutes les semaines ». Heureusement qu’il est contre les discriminations… Mais à force de ne vouloir perturber les croyances de personne, on finit par emmerder tout le monde, en particulier ce jeune joueur qui rase les murs de crainte que son homosexualité ne soit révélée au vestiaire tout-puissant… Hugo Lloris et tant d’autres avaient choisi d’abandonner le brassard arc-en-ciel lors de la coupe du monde au Qatar pour ne pas froisser un hôte peu complaisant avec les luttes LGBT, le tout sous la bienveillance de la FIFA et de son patron, Gianni Infantino… résident qatari depuis 2021.

Cela reviendrait à dire qu’en cas d’agression ou de discrimination liée à l’orientation sexuelle d’une personne, aucune condamnation de ces gens ne se ferait entendre, parce que le respect, les valeurs, tout ça, etc. Effrayant !

Dans un milieu où règnent l’entre-soi et la protection de ses chapelles, il ne fallait rien attendre de ses acteurs dont la seule constante est finalement la médiocrité de pensée. « Le football, c’est l’esprit d’équipe : c’est des mecs qui sont une équipe, ils ont un esprit. Alors ils partagent ». Signé Coluche. C’était en 1977.

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