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La gazette du Festival : émotions et non-dits « Sous le tapis »

Par Laura Campisano • Publié le 08/06/23

Au deuxième jour du festival, le deuxième long-métrage projeté est le premier de Camille Japy en tant que réalisatrice. Avec beaucoup de délicatesse, de poésie, d’onirisme, elle dépeint dans cette fresque familiale les non-dits, l’amour et le rapport à la mort que vivent Ariane Ascaride, Bérénice Bejo, Thomas Scimeca et Marilou Aussilioux. Un film aux allures de voyage initiatique qui charrie avec lui une large palette d’émotions. Rencontre.

Emerveillée, Camille Japy a adoré son expérience de réalisatrice, à chacune des étapes de son premier long-métrage. Et c’est encore avec cet émerveillement dans les yeux, un peu de soleil aussi, qu’elle s’est confiée sur cette belle histoire de famille. Car « Sous le tapis » est bel et bien une histoire de liens, de la place que l’on occupe parfois sans le percevoir, de l’intergénérationnel qui se transmet parfois dans l’inconscient. Comme ce film qui, de son propre aveu « s’est imposé à elle ».

« La force de vie emporte tout sur son passage »

La mort frappe quand elle veut. Même le jour de l’anniversaire d’Odile, alors que ses enfants et petits-enfants doivent arriver auprès d’elle et son mari, Jean. Difficile d’accepter l’inacceptable, un jour comme celui-ci. Difficile d’être séparée de l’être aimé, inconcevable de vivre sans celui qui la porte depuis toujours. Alors dans la panique sans doute, sous les effets du choc, Odile refuse. Odile cache cette vérité insoutenable… sous le tapis momentanément. Et Jean démarre son repos éternel sous le lit de leur chambre à coucher.

C’est le point de départ de ce film où chaque personnage laisse entrevoir ses failles, ses secrets, ses aspérités….petits et grands se révèlent, petit à petit. Temporiser le malheur et la tristesse, souffler ses bougies, partager le repas, faire comme si, inventer des bobards. « En écrivant le film, j’avais envie d’une actrice française qui soit capable d’une telle loufoquerie et en même temps de grâce, un certain décalage, confie Camille Japy, et Ariane Ascaride a cela, on croit en tout ce qu’elle fait. Je voulais que cela puisse être ‘madame tout le monde’, qui tente de gagner un peu de temps pour assimiler la terrible réalité du deuil. »  Ariane et elle ne se connaissent pas, mais lorsqu’elle lui envoie le scénario, la comédienne accepte ce rôle incroyable avec ces mots « vous me faites un cadeau magnifique ». Il en va de même pour Bérénice Béjo, lumineuse et solaire, capable d’entrer dans le personnage de Sylvie, la bancale, la responsable, toujours en apnée, celle qui gère tout, qui devient un peu la mère de sa mère, quand elle découvre la vérité et qu’il faut l’affronter. « C’est vraiment une grande interprète, assure Camille Japy, elle a compris ce que je recherchais pour le personnage et a su entrer dedans. » Et Clara, la bohème, l’incarnation de la liberté, qui permet aux enfants de rendre hommage à leur grand-père à leur manière comme nos conventions sociales ne nous le permettent pas, ici, contrairement à d’autres endroits du monde. « C’était très important pour moi cette grande liberté, reprend Camille Japy, Clara est libre comme j’aimerais l’être, elle n’a pas de préjugés, c’est une femme libre qui aide les enfants à faire leur deuil. La force de vie emporte tout sur son passage »

Cadre bucolique et double sens

Crédit Paname Distribution

C’est dans une maison entourée d’un jardin à l’abandon en banlieue parisienne que Camille Japy a planté le décor de son intrigue, enrobée d’une bande originale signée Mathieu Chedid. La réalisatrice se retient chanceuse d’avoir pu vivre un tel tournage, elle qui a écrit son film seule, en un mois et demi. « Je n’aime pas les interdits, en écrivant seule j’ai appris énormément, ainsi qu’à chaque étape du film que ce soit en post-production ou au montage. » a-t-elle révélé. Toutefois, s’il n’y a pas de concordance autobiographique dans son film, « en le faisant, j’ai réalisé des choses qui se sont passées dans ma famille, c’était très inconscient. J’aime ce qui est caché, quand il y a un truc en-dessous. Je ne voulais pas que sur un sujet grave on ait du pathos, je souhaitais qu’il y ait un ascenseur émotionnel. »  Et c’est le cas, le film est tendre, drôle, doux-amer parfois, tendu par moments, car il fait écho à nos propres blessures ou non-dits familiaux.

Quant au titre, il n’est jamais choisi au hasard, mais il possède ici un double sens qui n’est dévoilé que bien plus tard, instaurant un suspense réel pour le spectateur, mais permettant aussi de remettre toutes les pièces du puzzle dans le bon sens. « Essayons de se dire les choses, on peut tout accepter, ajoute Camille Japy. Quand le dit les choses, on ne porte pas ses ancêtres. » Comme il est juste de dire que la libération de la parole, la force de l’amour remet chacun à sa place et nettoie toute la noirceur du doute, de la douleur, de l’incompréhension. Dans « Sous le tapis », relations mère-fille et grand-mère-petits-enfants sont ciselées, dentelées même. On sent que ces thèmes tiennent à cœur à Camille Japy, qui a travaillé les corps et les rôles de ses acteurs avec patience, amour et passion. Chaque mot, chaque craquement de parquet, chaque sourire et soupir est à sa place, juste, émouvante. Et c’est un film qui répare qu’il ne faut pas manquer.

« Sous le tapis » sort en salle le 19 juillet prochain

Film de Camille Japy, avec Ariane Ascaride, Bérénice Bejo, Thomas Scimeca et Marilou Aussilioux

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