La Gazette du festival : être prêt pour un « Nouveau départ »

Philippe Lefebvre l’acteur passe derrière la caméra, même s’il incarne un médecin très professionnel dans son long-métrage en compétition au festival du cinéma français et de la gastronomie d’Aix-les-Bains. Son cinéma lui ressemble : il est classe et ne se contente pas de facilités. Ses personnages sont ciselés, profonds, ils ne sont pas ce que l’on pourrait s’imaginer à la hâte : ils sont incarnés, les deux pieds sur le sol. Alors si les personnages principaux sont interprétés par Karin Viard et Franck Dubosc, avec justesse et sensibilité, les autres personnages ne sont pas secondaires, ils sont satellites. Ils racontent eux aussi, à leur manière, une histoire, leur histoire. Et chacun d’eux parle de la société d’aujourd’hui, et des changements qu’elle traverse.

Le syndrome du nid vide comme point de départ

Tout parent connaît cela un jour, en tout cas la plupart : le dernier enfant est parti, il n’y a plus que nous : notre couple mis entre parenthèse depuis que nous sommes devenus parents. Et la crise arrive, et la cinquantaine, et la ménopause. Et les questions, les doutes. Sommes-nous assez ? Notre vie nous satisfait-elle ? Cette partition est-elle vraiment la seule bande originale dont nous avons envie dans notre existence ? Pas forcément. Alors on fait un pas de côté pour voir, et comme par enchantement on vit un « retour de flamme » professionnel, personnel… mais on ne peut pas tout avoir semble-t-il alors arrivent les complications, à tout point de vue. Les vases communicants en permanence dans ce film vraiment jouissif et rafraichissant nous interrogent, nous spectateurs. « La vie nous envoie la facture », dit le personnage incarné par Karin Viard. Car bien sûr, s’inventer un amant, ne pas démentir, finir par craquer et devoir se rendre à l’évidence… tout ça n’est pas sans conséquence.

Parce que quand son dernier fils part faire ses études à l’étranger, Diane sent que sa vie ne sera plus ce qu’elle était, tandis qu’Alain, lui, est toujours fou d’elle comme au premier jour, vibre avec elle, pour elle. Pianiste dans l’orchestre philarmonique de Paris, il ne s’attendait pas à une telle dissonance dans son couple et c’est donc le cœur brisé qu’il tente un coup de poker : il faut manquer à Diane. Parallèlement, Diane s’invente un amant, son beau nouveau chef de rédaction, interprété par Tom Leeb, qui vient de lui rafler le poste sous le nez et qui fait clairement craquer toute la rédaction. Exit les articles sur le jardinage, on lui tend les bras maintenant qu’elle est aux yeux de tous séparée. Mais si chacun fait ses expériences de son côté, réinvente son quotidien, change de lieu ou d’habitudes, de bras et de parfums, ils n’en restent pas moins parents. Et cette famille, Diane et Alain y croient. Quand ils deviennent grands-parents, il semble que les cordes de leur histoire vibrent à nouveau, bien que de nouveaux grains de sable se glissent dans les interstices de leurs doutes. Eh oui, la nature a horreur du vide…

Les nouveaux codes sociétaux en filigrane

Ce n’est ni un film féministe, ni un film étendard, ni un film qui revendique des cases et des mots, mais force est de constater que « Nouveau Départ » révèle une photographie de notre époque. Comment séduire aujourd’hui sans passer pour un lourdingue ? Doit-on ou non accepter des compliments alors que « Me Too » nous demanderait plutôt de les rejeter ? Faut-il oser sortir des sentiers battus ou rester à sa place dans le confort inconfortable et imparfait de notre quotidien ? A-t-on le droit de profiter d’une rencontre parachute quand toutes les cordes de notre cœur vibrent pour une seule personne depuis toujours ? Peut-on être une famille quand on est séparés ? Peut-on être considéré comme un être profond quand notre physique nous avantage ou comme quelqu’un de sincère quand notre comportement décèle un cruel manque de confiance en soi ? Autant de questions soulevées en un peu plus d’une heure trente, si ce n’est pas prometteur ? « C’est mon expérience personnelle qui m’a amené à cette réflexion, démarre Philippe Lefebvre, les sons de cloche des femmes autour de moi sont un peu dissonants, sur la situation actuelle. On est peut-être allé trop loin ? Je le vis moi-même je vois que j’ai changé mon rapport aux femmes, j’ai perdu en spontanéité. » « On a un contrôle qu’on n’avait pas avant », rebondit Youssef Hajdi, on se contrôle à plein d’égards, sur des automatismes. « 

Le rapprochement entre Tom Leeb et Karin Viard dénote aussi d’un nouveau regard sur les situations « cette crise de la cinquantaine est plus souvent représentée par un homme qui a une prise de conscience après s’être rapproché d’une femme plus jeune et séduisante, là c’est inversé. On m’a demandé pourquoi le personnage de Tom Leeb serait attiré par elle ? Il y a une attirance naturelle, et le personnage qu’incarne Tom est profond », expose Philippe Lefebvre rejoint par Tom Leeb. « Il y a plusieurs vérités dans ce film, rebondit Youssef Hajdi, mon personnage est dans sa vérité, cela nous montre un peu les vies qu’on a, on ne vit pas les vies qu’on doit vivre. C’est le meilleur ami d’Alain, il finit par épouser totalement la vie de son pote, ça crée un électrochoc. »  Qu’il s’agisse de Clotilde Courau dans le rôle de la directrice de concession automobile nymphomane, ou de Bérangère Krief collègue addict aux gossips, la galerie des portraits de ce film lui donne un rythme délicieux qui renforce la crédibilité du sujet. Franck Dubosc, amoureux et papa poule a été dépeint comme il s’est dévoilé à Philippe Lefebvre alors qu’il était avec ses enfants. En bref, rien n’est laissé au hasard et si l’on s’interroge beaucoup, une chose est sûre on ne ressort pas de ce film sans réponses.