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La Gazette du festival : Rémi Bezançon réalise vraiment « un coup de maître »

Par Laura Campisano • Publié le 10/06/23

Parmi les films en compétition, « Un coup de maître » est une franche réussite, signée Rémi Bezançon. Librement réadapté puisque l’idée de départ est un film argentin, ce long-métrage est à la fois loufoque, drôle, tendre et questionne les comportements humains avec un supplément d’âme. Le duo Vincent Macaigne/Bouli Lanners fonctionne à la perfection, ce qui rend l’histoire encore plus folle qu’elle ne semble l’être dans la version originale. Rencontre avec un réalisateur inspiré.

En voyant ce film, quelque chose de fou s’est allumé soudain : sans doute l’accent belge, sans doute le rythme, sans doute ce duo d’enfer et la propre folie des acteurs individuellement et collectivement. Toujours est-il qu’il avait le parfum d’un « Dikkenek » et c’est peu dire que venant de l’auteure de ces lignes, il s’agit d’un point excessivement positif. Tourné en Belgique, avec au moins un acteur belge, disons que les premiers indices étaient là. Mais la cousinade entre les deux longs-métrages ne s’arrête pas là. Il y a de la liberté, dans le ton et dans les plans, il y a de la joie alors qu’on voit à l’écran quelqu’un emporter dans sa « fin » son seul et meilleur ami de toujours, il y a une pointe de cynisme sur le monde de l’art. Bref, les ingrédients d’un grand film.

Une comédie « romantique » d’amitié

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Ce qui crève l’écran, l’autre personnage principal du film, c’est l’amitié. L’amitié dirions-nous avec un grand A. Renzo Nervi et Arthur Forestier sont comme les deux doigts de la main, disons le pouce et l’index, puisqu’ils ne se quittent jamais mais qu’ils peuvent parfois être en désaccord et prendre légèrement le large. L’un est un artiste-peintre à la limite de l’anarchie en pleine crise existentielle, l’autre est propriétaire d’une galerie d’art à Paris. Mais sa galerie est spécialisée et se focalise presque exclusivement sur l’œuvre d’un seul artiste : Renzo Nervi. Arthur y consacre sa vie, son énergie, il tricote autour de son artiste un manteau de laine fait de commandes, de tentatives, d’expositions, tandis que l’artiste lui-même détricote, casse, saccage parfois même. Il ne sait pas bien où il va, pourquoi vivre, pourquoi peindre, pour qui ? Bref, c’est une crise, mais dans la crise émerge l’amitié, elle se dessine par petites touches comme une peinture impressionniste et quand on prend un peu de recul sur l’œuvre en réalité toutes ces petites touches forment un tableau. « J’ai écrit ce film comme une comédie romantique, nous explique Rémi Bezançon, les arches narratives sont construites de cette manière. On voit que ces deux personnages n’ont rien dans leur vie. Ils s’aiment et à la fois parfois se détestent vraiment, le film se focalise beaucoup sur son amitié. » 

Si on se pose souvent la question « jusqu’où irions-nous par amour ? », ce film questionne : jusqu’où serions-nous capables d’aller par amitié ? Irions-nous jusqu’à vendre notre chemise pour sauver l’art d’un ami ? Serions-nous prêts à hypothéquer ce que nous possédons pour ne pas qu’il soit dépossédé ? Si pour l’amour on est prêt à toutes les folies, en sommes-nous capables par amitié ? Voilà ce que dit ce film, bien sûr qu’il y a du fou, de l’art, de l’irrévérencieux, mais il y a surtout une grande tendresse, des failles béantes d’êtres humains qui comblent grâce à l’attention d’un autre, de cet autre-là, qui tend la main cinq mètres au-dessus du vide. Magistral.

Quelque chose de l’enfance

L’absolu, la mystification, les décisions définitives, c’est l’enfance qui les recèle le mieux, le plus et le plus fort. Rémi Bezançon ne craint pas de les convoquer parce qu’il le reconnaît « j’adore la mystification, elle a quelque chose de l’enfance ». Et cet absolu, le personnage qu’incarne Bouli Lanners l’a intrinsèquement en lui, comme l’an dernier dans « La nuit du 12 » prix du meilleur film du festival du cinéma français, l’acteur crève l’écran, il est excessif, joueur, drôle, têtu, bourru, certes, mais avec précision et justesse. « Il n’incarne pas Renzo Nervi, il l’est » comme l’indique Rémi Bezançon. Sans doute a-t-il apporté beaucoup de lui dans ce rôle « Bouli est vraiment peintre, il a étudié aux Beaux-Arts de Liège, nous surprend le réalisateur, il a arrêté de peindre assez longtemps et a repris, comme un peu tout le monde, pendant le confinement. Il a même exposé ses toiles après le film ».

Quelques clics plus tard et en effet, on constate qu’une galerie belge expose ses toiles, Bouli Lanners nous surprendra donc toujours ! Et ce n’est pas le seul, on découvre également que le réalisateur lui-même a étudié à l’école du Louvre. Quand on connaît la filmographie de Rémi Bezançon, on se dit que là aussi, chaque œuvre qu’il crée n’en finit jamais de nous surprendre : on croit avoir tout compris mais il y a encore des portes cachées, comme dans « le mystère Henry Pick », son précédent long-métrage. Quelque chose qui n’est jamais totalement achevé ? C’est ce que disait le peintre Pierre Bonnard, auquel Renzo Nervi fait référence, joué par…. Rémi Bezançon ! « Ma productrice Isabelle Grellat (une Aixoise ! NDLR) me trouvait une légère ressemblance avec Pierre Bonnard, alors j’ai enfilé son costume, explique le réalisateur à l’occasion du dossier de presse du film, la question de savoir à quel moment une œuvre est achevée m’intéresse beaucoup. Un scénario, par exemple, ne le sera jamais. Au fil de la fabrication d’un film, il sera constamment amené à être modifié. » Rien d’étonnant donc, que la photographie de ce film soit inspirante, vivifiante et figure à chaque plan ou presque une peinture : bluffant.

Si on ajoute à ce tableau que Vincent Macaigne est dévoué à son travail et a besoin de connaître son personnage, de le comprendre pour mieux l’incarner et lui apporte lui-même sa propre folie, et que Aure Atika est très amie avec Emmanuel Perrotin, ce qui confère à son personnage une aisance supplémentaire à son grand jeu d’actrice, vous voilà face à une véritable œuvre d’art. Et encore, on ne vous raconte pas le nœud de l’intrigue, pour ne pas vous gâcher le plaisir, parce que des films comme celui-ci, il n’en sort pas tous les jours ! On vous laisse découvrir le coup de maître qui se cache à l’intérieur… décidément, cette partie de cache-cache s’étend !

Un coup de maître, long-métrage de Rémi Bezançon produit par Isabelle Grellat, sort en salles le 16 août 2023

Avec Bouli Lanners, Vincent Macaigne, Aure Atika, Bastien Ughetto…

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