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La Gazette du festival : se laisser bouleverser par « Une nuit »

Par Laura Campisano • Publié le 10/06/23

Il y a parfois des coups de cœur, des coups de grâce, et au cinéma, il n’est pas rare qu’un film vienne nous cueillir et nous emmène très loin. Alex Lutz signe un film d’une douceur et d’une finesse exceptionnelles. « Une nuit » ne peut laisser indifférent, il bouleverse, il touche profondément, et le duo formé par Karin Viard et Alex Lutz est si fort qu’il finit par nous faire croire que l’amour n’est jamais tout à fait mort.

« Deux étrangers qui se rencontrent, stoppant leur course contre la montre, seuls, et jusqu’au bout du monde ». Cette phrase écrite par Riccardo Cocciante dans « Question de feeling » pose le décor de ce film. Une rencontre moins romanesque, peut-être ces deux-là se connaissent-ils déjà, peut-être se sont-ils déjà vus quelque part, croisés dans le métro ? Peut-être pas. On ne saurait dire, on est happé par leur dispute inaugurale, par leur première étreinte maladroite, leur deuxième étreinte fulgurante, leur cheminement dans la nuit. Leur grâce, leur pas de deux. On assiste à leur découverte, à leur introspection mutuelle, à leur recherche, leurs questionnements, dans un Paris qui s’offre, beau, revêtu de son manteau de nuit. Emeric et Nathalie. Ils sont là, dans un huis-clos presque cousu main pour eux et ne se soucient plus de personne, leurs portables sont sur répondeur au fond de la Seine, ils sont disponibles. Et nous aussi.

Un ballet, de corps et de sentiments

« J’avais envie d’une histoire d’amour, d’une romance, c’est un genre qui me touche » commence Alex Lutz, magistral dans son assurance comme dans sa fragilité, dans ce film qu’il semble avoir réalisé en dentelle de Calais. « Le film honore le lien entre les personnages, poursuit-il, j’avais une envie de liens, on parle souvent de bienveillance, de résilience, etc… ici les personnages montrent beaucoup qu’ils ne peuvent pas se parler. Je voulais m’amuser un peu avec cette dispute, cette étreinte maladroite, et m’interroger sur l’homme, la femme, les mots de l’amour. Les deux personnages ne cessent de s’interroger sur l’amour, leur interrogation est permanente. » Les mots parfois ne suffisent pas, et ce sont les regards, les corps qui parlent, les mains qui se frôlent, les lèvres qui sourient, les yeux qui dévorent. « Je voulais montrer une couture, une robe de couple, avec une certaine familiarité, dans les mots, les regards, les corps, décrypte Alex Lutz. Tout ce qui fait qu’on se souvient de quelqu’un, ce qui déchire le corps. Il y a des cérémoniaux corporels, l’alchimie n’est pas que dans l’étreinte physique, elle est dans la voix, dans la grammaire du corps. » Grâce au clair obscur, les deux personnages brillent des mêmes feux que la ville Lumière, étonnamment belle drapée sous sa cape étoilée, ouvrant autant de fenêtres de l’âme qu’il y a de sentiments mitigés entre ces deux quasi inconnus.

Car plus la nuit avance, plus ils se connaissent, s’apprivoisent, se découvrent ou se redécouvrent, selon l’angle adopté par la caméra et le spectateur. Plus les heures tournent – on ne sait d’ailleurs même plus l’heure qu’il est -dépossédés des horloges hystériques qui rythment nos vies, plus ils nous emmènent là où personne n’était encore allé. Au théâtre, son jardin secret dont elle n’a jamais parlé à sa famille ; au restaurant alors qu’ils ont semé leurs affaires dans une fête à laquelle ils se sont invités et sont obligés de s’enfuir ; dans un club échangiste, juste pour voir des corps, des gens, des étreintes ; dans le bois, où ils rencontrent Nilo, un cheval blanc qui ne quitte jamais Alex Lutz depuis leur première rencontre ; le long des quais, alors que le soleil se lève. Ils s’explorent, se mettent à nu, s’expliquent, une « vie » le temps d’une nuit en somme. « Cette interrogation permanente marche aussi sur le pourquoi on est sur cette terre, avec l’autre, quel que soit l’autre, c’est toujours difficile, toujours compliqué et c’est ce qui est exaltant, analyse Alex Lutz, au fil du film les malentendus se ‘démalentendent’, le lien ne se termine jamais. Et ça, ça me rassure toujours. Pourtant nous autres humains on est capables de trucs terribles et dans ces cas-là notre premier réflexe c’est de se coller comme des pingouins. Cette chose-là, je sais qu’elle marche, qu’elle compte. »

Le lien par-dessus tout

Le lien parcourt le film, s’insinue partout, et ce n’est pas simplement ce qui se passe à l’écran. Il existe aussi à la ville entre Alex Lutz et Karin Viard, pour qui il a écrit le scénario, de bout en bout. « Nous sommes très amis, et c’est une amitié très franche, sourit-il, on se dit les choses assez facilement, et c’est aussi l’une de nos plus grandes actrices » Ainsi, quand il dit qu’il veut honorer le lien, ce n’est pas que celui des humains en général, de ce couple en particulier, sous leurs noms d’emprunts ou dégagés de leur rôle au lever du jour, alors qu’ils pianotent un clavier imaginaire sur un des ponts surplombant la Seine. Alex Lutz honore surtout son lien à lui avec Karin Viard, il lui offre un écrin dans lequel elle peut démontrer toute la grandeur de son talent d’interprète.

Un lien fort, c’est certain, qui galvanise à son tour l’immense capacité d’Alex Lutz à se réinventer. Toujours sur le fil d’une émotion, tantôt doux, tantôt triste, ici mélancolique ou là malicieux sur scène, au cinéma, derrière ou devant la caméra, sous les traits d’une Catherine touchante et drôle, ou d’un Guy magnifique, Alex Lutz réussit avec son visage juvénile et ses traits doux, à chaque fois son pari de départ : faire décoller le spectateur pour le faire atterrir sur sa planète. Là où un cheval peut être l’un des êtres les plus intelligents, importants d’une vie, là où les êtres s’expriment avec grâce même si jamais rien ne tombe dans la facilité, là où le verre est à moitié plein, toujours, plein d’espoir, y compris la nuit.

« Une nuit » sort en salles le 5 juillet 2023

Un film d’Alex Lutz, avec Karin Viard, Alex Lutz et Jérôme Pouly

 

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