Aix-les-Bains : au Festival du cinéma français et de la gastronomie, droit et comédie font bon ménage

Si « Pourquoi tu souris ? » de Chad Chenouga et Christine Paillard a raflé la mise samedi 8 juin, lors de la cérémonie de clôture du Festival du cinéma français et de la gastronomie sur la scène du théâtre du casino, on ne pouvait passer à côté de deux comédies hors-normes présentées en compétition. S’emparant de sujets de société brûlants, « le Procès du chien » et « les Pistolets en plastique » parviennent, grâce au rire, à l’absurde, au loufoque même, à faire réfléchir le spectateur sur le système judiciaire en rebattant les cartes de leurs certitudes les plus ancrées.

Juger les animaux ? En rire pour mieux y réfléchir

Au Moyen-Âge, ça ne choquait personne : au XIIIe siècle, rats, mulots, mouches, bœufs, cochons et chenilles risquaient les mêmes peines que les humains, comme le rappelle dans un article publié dans Historia, notre consœur Véronique Dumas : « Le tribunal criminel ordinaire, laïc, peut condamner à la potence, à la décapitation ou au bûcher des animaux domestiques reconnus coupables de blessures ou d’homicide ». Bien sûr, tout ceci s’est éteint aux alentours de 1760, le XVIIIe siècle étant celui des Lumières. Dans le droit positif (en vigueur), les animaux sont considérés comme des « choses », dont le maître est civilement responsable en cas de détérioration ou de blessure causée à un tiers. Concrètement si votre chien mord quelqu’un, vous êtes responsable en tant que maître, c’est la loi et c’est en vertu du « fait des choses », comme on est responsable de ses enfants mineurs. A l’époque du vote de la loi sur l’irresponsabilité pénale en 2021, était revenue sur le devant de la scène la pratique moyenâgeuse du procès d’animaux. En effet, privés d’un discernement dont seuls les Hommes sont dotés, les animaux ne peuvent réaliser qu’ils enfreignent une loi, à l’instar des personnes sous influence, dont le discernement est aboli ou altéré, ou encore les personnes présentant des affections mentales.

Combien d’histoires de chiens ayant mordu des nourrissons puis conduits à l’euthanasie ont fait les gros titres des journaux ces dernières années ? C’est un de ces faits divers qui a constitué le point de départ du film « Le procès du chien », ainsi que le roman « Chien Blanc », de Romain Gary, comme nous l’a expliqué Laetitia Dosch. « J’ai toujours fait des films autour du statut animal ou de l’environnement, et quand une spectatrice m’a parlé d’un procès autour d’un chien qui avait mis la zizanie dans la ville, cela m’a donné l’idée d’écrire un film sous la forme d’une comédie, précise la réalisatrice qui joue également dans son film, pour réfléchir tranquillement à ce sujet qui relève du changement de pensée tout comme l’avait été le débat sur le mariage pour tous. J’ai réalisé en m’intéressant à cette histoire de chien, qui avait mordu trois personnes et avait fini par être euthanasié, que les gens se passionnaient pour le sujet. Je me suis dit, s’ils se passionnent c’est qu’il y a un vide de pensée. Et c’est comme ça que j’ai appelé le chien à la barre ».

Pour Laetitia Dosch, la comédie était le meilleur moyen de parler de ce sujet épineux, comme le disaient Esope et La Fontaine, lequel utilisait les animaux pour instruire et divertir, déjà en son temps. C’est donc dans ce contexte que la réalisatrice a démarré un casting pour trouver le chien et son dresseur qui incarnerait le premier rôle de cette production franco-suisse. « J’étais à la radio pour faire la promo d’un film et j’ai été contactée par une société de dresseurs professionnels qui m’ont envoyé les bandes-démo de leurs chiens. Et c’est ainsi que j’ai vu Cody, dont le parcours a démarré dans la rue du côté de Narbonne alors que ce n’était encore qu’un chiot. J’ai vu beaucoup d’émotions passer dans ses yeux. »  décrit-elle. Pour jouer le dresseur, qui de mieux placé que François Damiens, que le scénario a immédiatement séduit, ainsi qu’Anne Dorval, célèbre pour son rôle dans « le Cœur a ses raisons » outre-Atlantique. « On a eu trop de chance de l’avoir, sourit Laetitia Dosch, elle a apporté un humour bizarre au film qui fait la différence. »  Le film, qui sort le 11 septembre prochain avec Bouli Lanners et Jean-Pascal Zadi entre autres, est déjà plein de promesses, et ne risque pas de laisser les spectateurs indifférents.

Et si on l’avait vraiment retrouvé ?

Dans la thématique des faits divers qui inspirent les réalisateurs, il est temps de souligner la comédie grinçante et déjantée de Jean-Christophe Meurisse « les Pistolets en plastique ». En 2019, on se souvient de l’arrestation d’un homme à Glasgow, qui pouvait éventuellement être Xavier Dupont de Ligonnès… S’ensuivit un emballement médiatique, surtout en France, où aucun média ne prend la précaution, sauf un quotidien régional, de parler au conditionnel. Un homme, Guy Joao, confondu avec le suspect français le plus recherché, est décédé en 2021, sans avoir reçu les excuses qu’il attendait pourtant pour les 26 heures de garde à vue inutiles. En attendant, le principal intéressé court toujours, selon toute vraisemblance. C’est en tout cas la thèse retenue dans ce long-métrage mené tambour battant et porté par un casting incroyablement convaincant et habité. Paul Bernardin (le XDDL du film) après avoir liquidé toute sa famille en France croit passer à travers les mailles du filet en Amérique du Sud. Mais c’est sans compter sur Léa et Christine, jouées avec brio par Delphine Baril et Charlotte Laemmel, qui ont très envie de rendre justice aux victimes.

Démarre une folle épopée, alors que quelqu’un pouvant être Paul Bernardin, est arrêté au Nord de l’Europe. La justice n’attend pas et Christine et Léa ne comptent pas laisser filer le faux-vrai Bernardin. Une satire, rocambolesque et folle que ces « Pistolets en plastique ». Fascination morbide ou besoin de jouer les justiciers ? De quel côté nous trouvons-nous ? C’est la question que semble nous poser Jean-Christophe Meurisse pendant 1h36. Personne n’est épargné, de la police française jouée avec un plaisir non dissimulé dans un anglais approximatif par Vincent Dedienne et Aymeric Lompret dans un fouillis innommable face à l’univers aseptisé des policiers néerlandais. Paul Bernardin (et XDDL) est partout, partout même dans des endroits incroyables, à la pompe à essence ou au coin de la rue. Pour les comédiens Gaëtan Peau (qui joue le rôle du faux Bernardin arrêté par erreur) et Charlotte Laemmel qui joue le rôle de Christine, une des justicières, le tournage a été mené tambour battant « avec beaucoup de liberté, une grosse confiance. La trame est écrite mais Jean-Christophe Meurisse veut du vrai, être présent, il aime aussi les digressions » ont expliqué les comédiens qui jouent déjà régulièrement avec le réalisateur.

Les thématiques de justice, des masques qui en cachent d’autres, de la loi, sont chers au réalisateur d’ « Orange Sanguine », son précédent long-métrage. Qui est responsable, et de quoi exactement ? Qui est coupable et surtout peut-on sortir indemne d’une telle méprise ? Tant de questions que soulève cette comédie grinçante, qui là encore aborde le droit sous un angle totalement fou, faisant écho à des faits réels tout en s’amusant des bévues de tout un système et d’une population qui est obsédée et aveuglée par son envie de vengeance et de macabre, les médias par leur besoin de scoop, les institutions dépassées par la course contre la montre du monde médiatique. Ce film, sous le biais de la comédie avec tous les ressorts comiques que cela implique, du plus rocambolesque au plus incroyable, du plus monstrueux au plus indicible, fait tomber les masques et les croyances, et nous montre ce que nous refusons de voir.

Pour ne pas tout dévoiler, puisque le film sort en salles le 26 juin prochain, le public doit savoir que Gaëtan Peau sait désormais danser la country comme personne. Quant à l’affiche, qui représente le « vrai » XDDL, vieilli grâce à une IA sur la base de la photo diffusée dans tous les médias et connue désormais de toute la population, aucune réclamation n’a été déposée à l’heure où ces lignes sont publiées. Un sacré coup de poker !