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Robert Badinter, Savoyard d’adoption, sauf à Saint-Etienne-de-Cuines ?

Par Laura Campisano • Publié le 27/06/24

« En février 1943, quelques jours après l’arrestation de son père Simon par les milices de Klaus Barbie à Lyon, Robert Badinter, sa mère et son frère Claude ont trouvé refuge chez des habitants de Cognin, au 73 de la route de Lyon. Quelques 80 ans plus tard, après le décès de l’ancien garde des Sceaux, la route de Lyon a pris à Cognin le nom de Robert Badinter, en présence de son épouse, la philosophe Elisabeth. Lui, l’humaniste, celui grâce auquel, sous la présidence de François Mitterrand, fut abolie la peine capitale inscrite désormais dans la Constitution de la Ve République ; lui, l’avocat, qui fut fait citoyen d’honneur de la ville de Cognin, seule distinction qu’il ait jamais accepté de bonne grâce. » Cogneraud d’honneur, ça j’y tiens, merci aux Savoyards « avait-il commenté, humblement et très ému. 

En février 2024, quelques jours après son décès, Chambéry lui rendait hommage, et pour l’occasion de nombreux chambériens s’étaient rassemblés, parmi lesquels des élèves du lycée Vaugelas, où ce lycéen devenu illustre avait suivi les cours durant l’année scolaire 43/44, sous un nom d’emprunt, aux côtés d’un certain Maurice Opinel. Parmi ces jeunes, Léa, Gaspard et d’autres ont tenu à lui rendre hommage, à 16 ans à peine. Non seulement ils savaient qui était Robert Badinter, ministre de la Justice qui a fait dépénaliser l’homosexualité, abolir la peine de mort et permettre aux citoyens français de saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme, mais en plus, leurs enseignants les ont aiguillés, accompagnés, leur ont transmis son histoire, son apport à la société française. La place du Palais-de-Justice de Chambéry, à l’unanimité du conseil municipal, porte désormais son nom. Pour ne jamais oublier, le rôle des enseignants et de chacun de nous, semble essentiel. Et vu l’histoire de Robert Badinter et de son lien à la Savoie, il tombait sous le sens que si les jeunes ne le connaissaient pas, d’autres se chargeraient de les instruire.

J’insiste, parce que j’enseigne aussi, en plus d’écrire des articles sur un média indépendant. Et quand un élève me pose une question, il n’est pas question pour moi de la laisser en suspens. Toutefois, il est vrai, je n’enseigne pas au collège de Saint-Etienne de Cuines, en Maurienne. Dernier établissement scolaire du département sans nom, il a failli ne pas s’appeler « Collège Robert Badinter ». Ses enseignants n’y tenaient en effet pas vraiment, « préférant un nom en lien avec la nature » comme ils l’ont fait savoir par courrier au conseil départemental qui n’en est encore pas revenu, étant à l’origine de la proposition. Selon eux, « ce sera plus évocateur pour les élèves que le nom d’une personnalité qu’ils ne connaissent pas. […] Le nom de Badinter risque malheureusement pour certains élèves d’évoquer un peu trop le nom de leur supermarché préféré…” Sic. Si la presse nationale et locale s’est émue d’une telle situation, la polémique a fini par prendre fin ce jeudi 27 juin » Après discussion et débats, il est aujourd’hui proposé que la première idée soit retenue et le collège puisse s’appeler Robert Badinter, indique le communiqué de l’établissement. La désignation du nom du collège suit donc son cours, avec cette belle et grande figure de la France. « 

Tout est bien qui finit bien ? Pas si sûr. Ce n’est pas parce qu’un incendie est éteint que l’on ne cherche pas pourquoi le feu a pris. La super-simplification de l’enseignement, le nivellement vers le bas, tout ceci conduit à l’inculture, à l’ignorance, à la manipulation aisée des cerveaux disponibles par des gens peu scrupuleux, au niveau de français catastrophique des jeunes nés entre 2000 et 2007 qui tentent aujourd’hui de ne pas confondre Simone et Simone à l’épreuve de philo du bac, qui tentent de savoir qui peut bien être Aimée Chedid au brevet, qui tentent d’accorder le participe passé des verbes du premier groupe. Les élèves sont perdus, largués, et en tant qu’enseignants nous avons un devoir, un devoir de transmettre, d’allumer la lumière, de faire passer des informations, de trouver des moyens pour les intéresser davantage à ce qu’on leur raconte qu’à des vidéos Tik tok. Bien sûr qu’il faut que ça leur « parle », mais ça ne tombera pas du ciel. Bien sûr que les enseignants « voulaient bien faire », mais on n’y arrivera pas si on n’élève pas le niveau. Robert Badinter avait 15 ans, quand il est devenu savoyard d’adoption. Soit l’âge des futurs candidats au brevet des collèges de Saint-Etienne-de-Cuines. A quelques jours d’un scrutin explosif, c’est en effet mieux de revenir à la raison. Pour faire de ces jeunes, des citoyens éclairés de demain, capables de s’élever contre l’antisémitisme, le racisme et la bêtise humaine, qui ont plongé cet adolescent vif et prometteur dans le chaos, lui qui croyait en la Savoie comme à une planche de salut. Les générations futures comptent sur nous, il ne nous est plus possible de faillir. «

L. C.

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