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Savoie : l’action des douaniers sera plus encadrée… ou plus restreinte

Par Jérôme Bois • Publié le 24/09/22

L’article 60 du code des douanes françaises est un pilier de la fonction douanière, la base de tout un système. Il permet le contrôle des personnes, des véhicules, des marchandises sur la voie publique comme dans les transports. Son action sera désormais encadrée depuis que le Conseil constitutionnel l’a déclaré non conforme à la Constitution le 22 septembre. D’ici au 1er septembre 2023, l’article 60 aura fait l’objet d’une réécriture, lui dont l’existence remonte à 1948. Une révolution à venir qui ne plaît pas à tout le monde.

Jeudi 22 septembre, le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation, a déclaré que l’article 60 du code des douanes* était non conforme avec la Constitution. Cette décision a fait suite à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par maître Eugène Bangoura, l’avocat d’un certain Mounir S. quadragénaire soupçonné de blanchiment d’argent, le 24 juin dernier. L’article 1 de la présente décision souligne que « l’article 60 du code des douanes, dans sa rédaction issue du décret n° 48-1985 du 8 décembre 1948 portant refonte du code des douanes, est contraire à la Constitution ». Elle sera publiée au Journal officiel de la République française, à défaut d’avoir fait grand bruit, jusqu’ici.

Tout est parti d’une affaire, dont l’audience sur le fond avait été renvoyée à janvier 2023, celle du transport de 47 000 euros en espèces dans l’habillage de la portière d’un véhicule contrôlé par les douanes le 10 février 2020 au péage de l’A20 de Vierzon Nord, rapporte le Berry Républicain (lire l’article complet ici). Cette affaire n’avait pas été jugée au fond suite à la QPC déposée par maître Bangoura, avocat au barreau de Bourges, QPC transmise dans un premier temps à la chambre criminelle de la Cour de cassation le 1er avril puis au Conseil constitutionnel, en juin. « Me Bangoura, détaille le quotidien berruyer, avait notamment mis en avant le fait que les contrôles des douanes sont mis en place sans le regard de l’autorité judiciaire et même sans son autorisation et que l’espace temps durant lequel une personne est immobilisée lors d’un contrôle, parfois pendant plusieurs heures, et son véhicule fouillé, n’est soumis à aucun cadre juridique ». Son action fera date.

« Le département va devenir open bar » !

Car c’est bien une révolution dont il est question, ici. Vincent Thomazo, agent des douanes de profession et ancien secrétaire général national Unsa Douanes, s’en est grandement ému, dans les réseaux sociaux, s’étonnant même du peu de retentissement d’une telle affaire. « Le Conseil constitutionnel a invalidé l’article 60 qui permet d’effectuer des contrôles de marchandises, de personnes, de véhicules, sur la voie publique. Ici, en Savoie, nous sommes plus que concernés par les modalités de cet article, c’est le fondement de l’existence de la douane. Que se passera-t-il si on ne peut plus contrôler qui que ce soit ? Pour le moment, nous ne parvenons pas à imaginer la portée d’une telle décision. Le département va devenir open bar » en décidant que l’article 60 était une atteinte « à la liberté de circuler ».

Pour le moment, l’heure n’est pas au branle-bas de combat. Ainsi, Vincent Caron, directeur régional des douanes de Chambéry, préfère tempérer toute forme de catastrophisme : « C’est un sujet, important, un article de base qui permet aux agents d’effectuer des contrôles sur les personnes, les marchandises, les moyens de transport. Un sujet grave que je souhaite tempérer car déjà, l’anticonstitutionnalité a été confirmée avec effet le 1er septembre 2023. Nous pouvons donc continuer à travailler sur la base de cet article. La décision du Conseil constitutionnel s’impose, il y aura donc, ces prochains mois, un travail de réécriture pour donner un cadre juridique à son champ d’action. Indirectement, il y aura une entrave mais ça ne va pas complètement changer notre façon de travailler ».

Pas question de « diminuer l’efficacité l’action des douaniers », selon Gabriel Attal

Vincent Caron insiste sur le caractère obsolète d’un tel article, aux contours flous mais aux pouvoirs immenses : « Le code des douanes a beaucoup changé. Cet article a été maintes fois contesté et fait l’objet de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité mais jamais il n’avait été jugé comme anticonstitutionnel ». Le directeur régional des douanes précise toutefois que « ça ne suscite pas un énorme enthousiasme » car en fixant un cadre plus précis, on noie de facto l’initiative. Il reste moins d’une année aux services du ministère du budget et des finances (Bercy), la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) et à la direction générale des douanes de réécriture les contours de ce pilier de l’action douanière.

Le ministre de l’action et des comptes publics, Gabriel Attal, a écrit aux administrations territoriales ainsi qu’aux agents afin de tenter de les rassurer : « Le juge constitutionnel a reporté les effets de sa décision au 1er septembre 2023, au regard des missions de contrôle que vous exercez et dont il mesure l’importance. L’article 60 reste donc en vigueur jusqu’à cette date. Je m’engage, avec votre directrice générale, à ce que soient prises les mesures qui sont nécessaires pour préserver l’efficacité du droit de visite des agents des douanes. Il ne saurait être question, en effet, de diminuer l’efficacité d’action des services douaniers dans la lutte contre toutes les fraudes, au service de la protection de nos concitoyens ». Il poursuit : « Dans la recherche d’une nouvelle rédaction de l’article 60, qui prenne en compte les exigences posées par le Conseil constitutionnel, je m’attacherai à ce que les particularités de la lutte contre la fraude douanière et la qualité de vos conditions de travail soient pleinement prises en compte ».

Le 21 septembre, veille de la décision du Conseil constitutionnel, Gabriel Attal se félicitait encore de l’action des douaniers dans un tweet : « Au 1er semestre, la douane a saisi plus de 73 tonnes de stupéfiants. C’est 8 tonnes de plus que sur la même période en 2021. Les douaniers font un travail exceptionnel ».

* L’article 60, en vigueur depuis le 1er janvier 1949, indique que « pour l’application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes ».

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