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Cognin : le long du canal des usines, l’histoire continue de s’écrire

Par Laura Campisano • Publié le 19/12/22

Quand le présent fait renaître le futur : à Cognin, dont le passé industriel florissant au XIXe siècle s’est dessiné le long du « canal des usines » jusqu’aux années 1960, un nouvel immeuble a accueilli ses tout premiers habitants, à l’emplacement de l’ancienne usine Opinel. C’est pourquoi l’immeuble porte le nom de Yatagan, du nom de la lame du premier couteau fabriqué par la célèbre marque « de la main couronnée ». Mais c’est surtout le canal qui le traverse qui raconte son histoire. Une histoire surgie du passé qui en dit long sur la commune discrète et humble de Cognin.

Ce canal qui se distingue par ses douze chutes, partant de l’Hyères et allant se jeter dans la Leysse, c’est le trait d’union entre le passé industriel de Cognin, et sa physionomie actuelle. En effet, rien n’étant jamais dû au hasard, le nouvel immeuble sorti de terre en septembre dernier sur le site de l’ancienne usine Opinel était d’abord une tannerie. Toutes ces constructions sont liées à la présence de l’eau, qui a donné sa force et son énergie au commerce, sous l’impulsion des seigneurs sardes… Eh oui, en 1732, le premier cadastre sarde, sur lequel avait par ailleurs travaillé un certain Jean-Jacques Rousseau, permettait de déterminer les lieux où des artisans, puis plus tard des usines, allaient pouvoir tirer profit de manière importante de la force de l’eau.

L’atelier de l’eau, pour que vive la mémoire et qu’elle s’inscrive au présent

A quelques encablures de ces nouvelles constructions, se trouve un lieu encore plus intéressant : l’ancien siège (en ruines quand elle a été acquise par la commune) de la « Filature Thomas », possédant toujours une roue à augets, mue par la seule force de l’eau provenant du canal. Douze chutes sont réparties selon le cadastre précédemment évoqué. Au rez-de-chaussée du bâtiment, l’ancien moulin des Etablissements Berthollet (en activité au début du XXe siècle), a été totalement restauré et dévoile tous les secrets de la fabrication de l’huile de noix. Notre guide est une figure cogneraude, puisque Claude Vallier est élu depuis 1977 à Cognin, a été maire lui-même quelques temps, et est toujours conseiller municipal actuellement. Mais c’est surtout un passionné, et il a si bien connu Maurice Opinel qu’il nous le présente plus vrai que nature. Né en 1945, enseignant en lettres et histoires puis principal de collèges, il est à l’origine de l’Atelier de l’eau, de l’association « Cognin Eau vivante » et du GREHC (groupe de recherches et d’études historiques de Cognin), il a également occupé les fonctions de président du syndicat du canal. Et si Claude Vallier a toujours aimé la géologie, ce fils d’agriculteur a une connaissance précise de la géographie et de l’histoire de sa commune.

L’atelier de l’eau a toute son importance aujourd’hui, bien qu’il ait été créé en 2007. « C’est un lieu de mémoire en adéquation avec les préoccupations d’aujourd’hui, explique Claude Vallier, quand on parle de culture on n’évoque que rarement le domaine des sciences et des techniques, pourtant en ce qui concerne Cognin, et aussi la Savoie, ce domaine est fondamental. » Un théâtre, une fresque historique, et bien sûr une scénographie pour découvrir autant l’eau comme une source de vie, comme une énergie renouvelable, mais aussi un enjeu de guerre et de paix. Pour réaliser ce lieu atypique et pédagogique, l’ancien maire cogneraud s’est entouré d’une équipe, d’abord des enseignants pour en définir le contenu, tel que le directeur de l’école de Cognin et de la galerie Eurêka de Chambéry, l’un des premiers responsables des parcs nationaux, également Maurice Opinel et Nicolas Million, à la tête du GREHC, ainsi que le cabinet Crocodile, qui travaille avec les artisans de la cité des sciences. Un projet qui ne s’est pas fait tout seul, bien sûr, puisqu’il a fallu à la commune trouver 1,3 million d’euros de financement. L’association « Cognin Eau Vivante » a alors vu le jour, embauché une animatrice en semaine et ses bénévoles assurent eux-mêmes les visites des samedis après-midis. Ainsi, l’atelier de l’eau tire son épingle du jeu lors de la Nuit des musées, des journées du Patrimoine, au cours desquelles des balades le long du canal sont organisées, ainsi que lors de la journée des sciences.

La passion au cœur des réalisations

Cette petite commune de moins de 7 000 habitants décèle décidément de nombreuses péripéties. Non seulement Cognin peut s’enorgueillir d’abriter un arbre remarquable de 300 ans, mais en plus elle a vu passer les plus grandes familles d’industriels du XIXe siècle, notamment les Chiron (à qui l’on doit la fameuse marque Alpina) les Pellarin, les Berthollet, les Carrel, les Opinel… Bref, du beau « linge ». « L’histoire de Cognin illustre l’histoire industrielle de la Savoie, soutient Claude Vallier, et aussi son déclin. Car beaucoup avaient besoin de place et se sont délocalisés, sans aller jusqu’au bout du monde, mais davantage sur Chambéry, et dans toute la Savoie. Ils étaient obligés de le faire, soit ils s’acharnaient et se retrouvaient largués, soit ils s’adaptaient. Et certains n’ont jamais cessé de s’adapter. » 

C’est également ce qu’a fait la famille Opinel. Joseph Opinel, fils de Daniel, forgeron de son état, à force d’entêtement à vouloir former un couteau avec du bois et du métal a fini son apprentissage à Thiers, avant de créer son couteau fermant à Albiez-Montrond. Mais les conditions de réalisation ne sont pas satisfaisantes, l’eau est irrégulière, il lui faut une gare pour écouler sa production et une main d’œuvre qui ne soit pas trop onéreuse, pour démarrer. C’est comme cela qu’il vient dans la combe de Chambéry, acquiert cette ancienne tannerie à l’abandon sur le canal en 1916, avec l’argent de la dot de son épouse.

Cet homme est le grand-père de Maurice Opinel, né à Cognin en 1927, chargé des exportations du fameux couteau pliant de 1977 aux années 2000, avant de céder sa place à l’un de ses fils, Denis. L’usine va prospérer et manquer de place, elle aussi, et en 1973, elle va se déplacer à la Reveriaz, avant que les bureaux partent également en 2003. « Maurice Opinel avait conservé son bureau dans l’usine de Cognin, puis au rez-de-chaussée du château, explique avec nostalgie Claude Vallier, il y passait une heure par jour, et je pense qu’au fond, il venait là pour se ressourcer. » Ses fils vont poursuivre la « Saga Opinel », celle-là même qui avait donné lieu à une exposition réalisée par le GREHC en 2015, lors des journées du patrimoine à l’atelier de l’eau, quelques mois avant le décès de Maurice.

Aujourd’hui « le château » est en train d’être remis en l’état par une autre famille qui en est tombée amoureuse. A côté du nouveau programme immobilier dernier cri, cette maison d’ingénieur est visible dès l’entrée de ville, et dénote d’un passé toujours bien présent dans la vie locale. Des vies de passion, en somme, comme l’explique Claude Vallier lui-même « D’où me vient le moteur de cette réalisation ? s’interroge-t-il, au cours de notre visite. On n’est jamais seul, car le pouvoir isole, mais je dirais tout de même que c’est la passion, c’est inexpliqué. C’est une alchimie très compliquée, mais la passion conduit à des réalisations, vous vous persuadez que c’est utile, que cela donne du sens à des existences quelques fois malmenées. Cela permet en tout cas de souligner l’ingéniosité des créateurs de machines qui paraissent simples. » Au milieu des habitations, de la route de Lyon à la rue de la poterie, l’eau du canal continue de bouillonner, et ce d’une rivière à l’autre, depuis plusieurs siècles à présent. Témoin d’une histoire qui ne cesse jamais de s’écrire et de se renouveler.

Tous les commentaires

1 commentaire

Perrier Orcel Simone

20/12/2022 à 09:23

J’habite personnellement au Parc de la soierie proche voisine de ces lieux historiques et suis fière de traverser ce quartier que je verrai dorénavant avec des yeux tous neufs

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