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Aix-les-Bains : l’alarmant rapport de la Chambre régionale des comptes

Par Jérôme Bois • Publié le 02/03/23

Il porte sur la période 2016 – 2021 et il ne fait pas de cadeau. « Il », c’est le rapport de la chambre régionale des comptes, présenté mardi 28 février à l’occasion du vote du budget de la cité thermale. Un rapport dont on flairait le contenu depuis plusieurs mois déjà et qui confirme les difficultés auxquelles se heurte la municipalité depuis de nombreuses années. Et pour la Chambre régionale des comptes, la crise sanitaire n’est pas responsable de tout…

Elle n’est décidément pas de tout repos, cette époque. La crise économique succède à la crise Covid, les finances publiques s’en ressentent et le gendarme de l’utilisation de l’argent public veille et ne pardonne aucune faute. Le rapport portant sur la période « 2015 et suivantes »  présenté au conseil municipal fait plus qu’égratigner les comptes financiers et la gestion générale de la ville thermale.

Ce fut une longue séance, mardi 28 février, achevée au-delà de 22h30 après d’âpres débats tournant autour de la gestion financière de la ville puisque le budget a été voté. Une gestion bien contestée par le groupe Aix naturellement et ce depuis plusieurs mois. « Ce rapport met en lumière les nombreux problèmes que les membres de notre groupe soulèvent depuis 2020 et que Marina Ferrari avait dénoncés lors de sa démission en 2019. Sur 170 pages, le rapport est accablant pour la gestion Beretti » , a résumé après coup le groupe par voie de communiqué. Cependant, il convient de préciser que toute la première partie de la période ciblée relevait de la gestion de l’ancien député maire Dominique Dord, démissionnaire en octobre 2018.

Le rapport en question résume la gestion globale de la cité aixoise en trois points :

 

  • Une situation financière jugée « dégradée » et le recours à l’emprunt

Le rapport de la CRC fait état d’une dégradation de la capacité d’autofinancement*. En cause, la crise sanitaire et ce qui en a découlé (aides accrues et salutaires aux commerces aixois et chute du produit brut des jeux provenant du casino) mais pas que. Décriée depuis le début du mandat par ses opposants, la municipalité est pointée du doigt pour l’augmentation « prononcée » des charges de personnel et des charges à caractère général** tandis que les investissements « sont maintenus à un niveau important ». Des investissements de fait « financés par de nombreuses cessions d’actifs et le recours accru à l’emprunt » , souligne le document.

En conséquence de quoi, avec un endettement élevé et une capacité d’autofinancement fragilisée (la CAF nette est devenue négative en 2021 avec – 0,38 million d’euros alors que la CAF brute a fléchi de 17,7 en 2015 à 8,3% en 21), la capacité à investir se trouve amoindrie. Sur l’ensemble de la période évaluée, les ressources principales de la commune pour investir reviennent aux produits de cession pour 26% du financement, puis à la capacité d’autofinancement nette, pour 19,8%. Rappelons en outre qu’une capacité d’autofinancement négative indique que la commune est incapable de faire face à ses remboursements de dettes, elle ne disposera alors que du recours à l’emprunt pour se désendetter. Au chapitre des emprunts, 22,20 millions d’euros ont été souscrits sur l’ensemble de la période 2015 – 2021, 19,70 millions entre 18 et 21, 11,2 millions entre 20 et 21. En conséquence de quoi, aucun emprunt nouveau n’a été contracté en 22. Cependant, en baisse de 2015 à 2018, l’encours de la dette est reparti à la hausse depuis (de 44,37 en 2015 à 33, 09 millions d’euros en 2018 puis de 33,84 en 2019 à 37,57 millions d’euros en 21). L’endettement par habitant s’élève désormais à 1 237 euros, soit à un niveau bien au-dessus de la moyenne de la strate (750 euros).

Quant aux charges de personnel (lire plus bas), elles avaient déjà été épinglées par les oppositions comme en février 2021, à l’occasion du rapport d’orientations budgétaire. « L’augmentation des dépenses de personnel cohabite mal avec la baisse des recettes. De même que les dépenses de communication » , signalait alors Marina Ferrari. A l’époque aussi, André Gimenez regrettait que « la pérennité des investissements [soit] garantie par le recours à l’emprunt et la vente de biens communaux » (lire notre article du 24 février 2021). Parmi les recommandations de la chambre régionale des comptes figure la nécessité absolue de « mieux maîtriser la hausse préoccupante des charges générales (+ 3,5% sur la période), de la masse salariale (+ 4,2%) et des subventions versées aux organismes privés ».

Le rapport s’est enfin concentré plus avant sur les frais de publication, de publicité et de relations publiques. En 2019, ces dépenses ont atteint 1 million d’euros, souligne le document, avec un doublement des dépenses de fêtes et cérémonies. « En 2020, ces frais représentaient encore le double des sommes constatées au début de la période observée » avant de connaître un fléchissement en 21. Le rapport cible également des frais de bouche pris en charge par la commune « qui ne permettent pas de s’assurer de leur intérêt communal » (environ 9 000 euros pour une soixantaine de restaurants pour la seule année 2019).

 

  • Une organisation « défaillante », des ressources humaines « à stabiliser »

Les services de la ville ont été jugés « mal pilotés » du fait « de l’absence ou du renouvellement trop fréquent de l’encadrement ». Une organisation qui a conduit « le maire à intervenir directement et fréquemment auprès des agents » , d’où une « source de stress pour les agents ». Une organisation « instable, source de mauvaise gestion ». Il est alors préconisé de stabiliser l’organisation interne des services et d’améliorer la coordination entre lesdits services, de mettre en place « un contrôle interne afin de pallier les dérives dans de nombreux domaines » et de « développer la mutualisation de moyens et des services » avec Grand Lac.  De façon à réduire les coûts de fonctionnement.

Au chapitre fonctionnement, le premier poste de dépense de la ville, les charges de personnel, représente 66,4% de ces dépenses. Sur la période « 2015 et suivantes », ces charges ont augmenté de 6,18%, du fait de l’augmentation des effectifs, de la mise en œuvre du protocole national de modernisation des parcours professionnels et d’une politique d’avancement dite « généreuse ». Sur la période 2016 – 2020, le turnover est particulièrement marqué avec 269 sorties (démissions, retraites, mutations, licenciements, fin de contrat…) soit plus de 40% des effectifs.  Au total, sur la même période, les entrées s’élèvent à 308. Le solde est donc positif (+ 39) malgré un nombre élevé de départs (168) qui ne sont pas liés à des départs en retraite, « ce qui souligne les difficultés de la ville à stabiliser ses ressources humaines ». Toujours sur le plan du personnel, la CRC constate de nombreux arrêts de travail pour raison de santé (11 617 jours en 2015, 15 532 en 2020), le nombre de jours d’absence ayant bondi de 34% sur la période. Si la Covid peut être une explication, la chambre observe que la hausse du nombre d’arrêts pour maladie ordinaire ou professionnelle « peut refléter une situation sociale dégradée ». C’est pourquoi, en 2020, la municipalité a lancé un service dédié à la santé au travail, initiative saluée par la CRC.

Enfin, dans ce domaine, la CRC appelle au respect de la durée légale du travail et à la mise en place d’une évaluation du personnel, d’un meilleur contrôle des heures supplémentaires, de la fin des régimes indemnitaires irréguliers et recommande un meilleur encadrement des avantages en nature.

 

  • Une « faible » qualité de la gestion

Des faiblesses de gestion ont été observées dans trois cas particuliers.

– La réhabilitation des anciens thermes, dont l’entretien des bâtiments et les diverses opérations de désamiantage ont coûté 3 millions d’euros sur la période 2015 – 2021 « alors qu’aucun projet cohérent, techniquement viable et chiffré n’a été clairement défini ». Des travaux coûteux à la charge de la ville alors que cette dernière s’en était « remise à des partenaires privés. La complexité de ce patrimoine aurait nécessité des études poussées, la ville n’ayant pas mis en place le management nécessaire au pilotage de cette importante opération ».

– Le fonctionnement dégradé du service de la commande publique. La CRC réclame la fin « des achats sans mise à concurrence » , jugés « trop nombreux ».

– Le système d’information, type intranet et mise en place d’outils numériques pour les administrés. La chambre signale une infrastructure « vieillissante » , « faisant peser un risque majeur sur sa sécurité ». Si la ville propose de nombreux services en lignes aux usagers (Vos démarches, Aix Pass’), les démarches doivent être simplifiées. En effet, si la CRC salue « le volontarisme de la ville » en matière de dématérialisation, le système tend à « multiplier » les comptes utilisateurs et offre « une navigation difficile pour les usagers ».

Enfin, un audit du système de vidéoprotection est vivement préconisé « afin de le sécuriser et de résoudre les dysfonctionnements avant toute extension du système ». Il est souligné qu’une partie des caméras ne fonctionne pas. 55 caméras ne seraient ainsi plus exploitables par le centre de supervision urbain (CSU). En outre, 53% des caméras des bâtiments communaux et 19% des caméras installées sur le domaine public « présentent des dysfonctionnements ». Le réseau est présenté comme « poreux » et les équipements seraient assez peu sécurisés.

Douze recommandations ont été formulées après la rédaction de ce diagnostic, avec en plus de celles précitées la réalisation d’un inventaire physique du patrimoine, le respect de l’obligation des 1 607 heures annuelles, ou la mise en place d’un management de projet concernant la réhabilitation des anciens thermes…

Un gros travail attend les élus et les services de la ville pour améliorer l’ensemble de ces sujets pointés par la redoutable chambre régionale des comptes.

*  La capacité d’autofinancement mesure la capacité de la collectivité à dégager, au niveau de son fonctionnement, des ressources propres pour financer ses dépenses d’équipement, une fois ses dettes remboursées.

 

** La direction générale des collectivités locales précise que les charges à caractère général se composent des achats stockés ou non stockés, des prestations de services extérieurs auxquelles on exclut les charges de personnel extérieur au service ainsi que des impôts, taxes et versements assimilées.

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