Malmené au cours de la dernière réunion du conseil communautaire, le président de Grand Chambéry, s’il a reconnu ses torts sur la question du versement mobilité, semble plus que jamais esseulé au sein d’une instance dans laquelle il a connu bien des remous depuis trois ans.
Les promesses n’engagent que ceux qui les tiennent. L’adage est usé jusqu’à la corde, il n’empêche que Philippe Gamen a fait les frais de promesses non tenues et les élus communautaires n’ont pas manqué de le lui faire remarquer, jeudi 11 mai, à l’occasion de la dernière séance du conseil communautaire à Barberaz. Au point de le fragiliser, peut-être même durablement.
Amendement, versement mobilité et séance exceptionnelle
Pour comprendre cette situation qui place le président de l’agglomération et maire du Noyer dans l’inconfort, il faut revenir au vote du budget primitif, le 16 mars dernier, réunion au cours de laquelle de nombreux élus ont appelé à l’amélioration du service de transports en commun, en tête desquels Thierry Repentin, maire de Chambéry et traditionnel opposant à Philippe Gamen, comme ce dernier le reconnaissait, fin 2021, dans ces colonnes. A propos des transports, le maire évoquait « des enjeux aigus » , louait « les habitants patients » au regard « des remontées » qui parvenaient jusqu’à lui. Il appelait à l’amélioration des dessertes sur les Monts, le Biollay, les zones économiques, les nouveaux quartiers, dans l’ensemble, un investissement selon lui possible, à la seule condition d’activer le levier versement mobilité.
Cette contribution, versée par les employeurs de plus de 11 salariés, vise à financer les transports en commun. Elle est recouvrée par les Urssaf qui sont chargées de la reverser aux autorités organisatrices de la mobilité. Elle s’élève à 1,75% à Grand Chambéry, autorité organisatrice des transports et mobilités. Selon Thierry Repentin, ces employeurs, parmi lesquels la ville de Chambéry et l’hôpital, « ne sont pas opposés à contribuer de façon plus dynamique s’il est attesté qu’il y aura un progrès de service dont ils pourront bénéficier ». Un effort déjà possible pour l’année en cours, avec une mise en place au 1er juillet… à la condition de faire vite.
Très vite même, puisqu’il fallait valider une augmentation de ce versement à 1,9% puis à 2% d’ici 2025, pour une recette de 985 000 euros affectés au budget annexe mobilités, avant le 1er mai. Il était pour cela nécessaire de voter un amendement, déposé par le maire de Chambéry avant cette date butoir pour une mise en place dès juillet 2023. S’ensuivit cet échange entre Philippe Gamen et Thierry Repentin :
– Il faut réunir le comité de partenaires et ensuite mettre cet avis en délibération lors d’un conseil communautaire exceptionnel.
– Mais il faut délibérer avant le 1er mai ! Si vous prenez cet engagement, on vous suit.
– Ok.
– Vous prenez cet engagement, président ?
– Ok. On fait comme ça.
Rendez-vous donné le 20 avril et une séance exceptionnelle du conseil communautaire afin de mettre cet amendement aux voix. Une réunion qui n’aura jamais lieu…
« Je ne suis pas fier, j’assume… »
« Je ne suis pas fier, a admis Philippe Gamen, jeudi 11 mai, j’assume, c’est idiot, je suis d’accord. Ce sujet est politisé, on m’a entraîné vers cela alors que je n’aime pas ça* ». Un mea culpa obtenu après que plusieurs élus communautaire se soient succédés pour tancer la méthode et l’annulation de cette séance extraordinaire du mois précédent. Car ce 11 mai, après qu’Alain Caraco, vice-président en charge des mobilités, a énuméré les mesures prises en matière de transport en commun afin de faire évoluer l’offre de réseau pour une somme de 150 000 euros, de nombreux maires ont exprimé leur désarroi ; mesures insuffisantes, élus locaux pas écoutés, manque d’ambition, absence de prise en compte de l’amendement déposé par Thierry Repentin, tout y est passé. Pourtant, Alain Caraco rappela bien que ce n’était « qu’une étape. On ne prétend pas répondre à tout. Si l’on fait tout en une fois, on arrivera en fin de mandat sans avoir rien fait ». Pas de quoi atténuer la grogne des maires et élus présents. « Cette délibération me dérange, soutenait Alexandre Gennaro, maire de La Ravoire, elle est à la fois inéquitable et inachevée. Nous sommes unanimes pour dire qu’il faut revoir l’offre de transport mais cette délibération ne prend pas en compte les demandes globales de tous les maires. On n’a jamais eu de présentation de toutes les demandes d’usagers ou de maires, en toute transparence, de toutes les collectivités… Une vraie liste exhaustive, à la Prévert, de toutes les demandes afin que l’on puisse se rendre compte des besoins dans tous les territoires et porter ainsi la voix de nos habitants ». S’adressant à Alain Caraco, il ajoutait : « Depuis des années, M. le vice-président, on vous demande de travailler à nos côtés, vous travaillez, on le voit, mais pas à pas à nos côtés ».
Isabelle Dunod, adjointe à Chambéry, dressait ce constat, alarmant : « Depuis 2009, Grand Chambéry, autrefois Chambéry Métropole, a pris 10 000 habitants supplémentaires en 10 ans. L’offre s’est parallèlement dégradée, passant de 11 millions à 8 millions de voyages, de 110 bus à 80 en dépôt. Cette délibération est un pas mais il est minime. Il y a un défaut de méthodologie. Des choix ont été faits, mais sans concertation. Sur le fond, ce que vous nous proposez est une avancée, mais une avancée modeste ». Jean-Marc Léoutre, maire de Saint-Jeoire-Prieuré, pointait, lui aussi, « l’absence de rencontres avec les élus, le secteur sud (La Ravoire, Saint-Jeoire, Challes-les-Eaux, Saint-Baldoph) n’a pas été travaillé ni coconstruit avec les maires. C’est un pas, effectivement et on ne peut pas s’en passer, nous en convenons tous ». Pas de quoi cependant, lui faire faire des bonds. « Pour le sud, nous découvrons, après une réunion pour Saint-Jeoire, que manifestement nous n’avons pas assisté à la même réunion. Nous nous sommes soit mal compris, soit mal exprimés ». Il réclamait de retirer les points portant sur l’évolution du réseau sur la partie sud de l’agglomération, tout comme Alain Thieffenat, maire de Bassens, souhaitait retravailler la desserte des Monts. Des critiques sévères, émanant bien souvent de soutiens au président de l’agglomération, rarement aussi éreinté qu’il y a deux jours. Celle venant de Sandra Ferrari, maire des Déserts, valait le détour : « Mon sentiment, de ma petite commune, c’est que nous sommes en train d’oublier nos habitants, nos objectifs. J’attends des avancées claires, je commence à souffrir de la tournure politique pure et dure que prennent tous nos débats. La politique prend trop de place, je souhaite que nous soyons au travail pour nos concitoyens, de manière dépassionnée politiquement ».
« C’est plus que grave, c’est dramatique… »
Il fallait bien, à un moment ou un autre, poser la question du versement mobilité, levier considéré comme essentiel pour faire évoluer la qualité du réseau et jusqu’ici seulement cité par Alain Caraco dans son propos liminaire pour dire qu’il resterait stable. Christelle Favetta-Sieyès, adjointe à Chambéry, mit les pieds dans le plat et évoqua à travers une allusion cinématographique bien connue cette augmentation du versement mobilité promise il y a deux mois, abandonnée en rase campagne depuis. « Nous sommes aux confins du ridicule. Si nous étions mercredi, nous serions tous les invités d’un fameux dîner dont nous serions les premières victimes ». Elle dénonçait le « non-respect de [votre] engagement pris lors du dernier conseil (du 16 mars). Nous avons fait un pas vers vous en votant ce budget parce que vous aviez pris l’engagement de travailler cette question du transport et l’augmentation du versement mobilité et nous n’y sommes pas ». S’adressant à Philippe Gamen, elle poursuivit : « Le problème est que vous ne respectez pas cet engagement sur le versement mobilité, c’est plus que grave, c’est dramatique et on ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé. Allons-nous perdre encore une année ? Allons-nous être encore victimes d’atermoiements collectifs ? Il n’y a plus de sens à défendre l’amendement déposé par Thierry Repentin, les délais sont dépassés. Je ne sais pas comment on va faire, on n’est pas bon pour le 1er janvier 2024, c’est certain. L’amélioration de l’offre de transport ne peut se faire à budget constant, visiblement ».
« Soit on attend d’avoir absolument tout aligné et ça prendra beaucoup de temps, et je ne suis même pas sûr qu’on soit tous d’accord à la fin, soit on ne fait rien. Ne rien faire est une solution beaucoup plus simple » , s’agaça Alain Caraco. Un défaut de méthodologie reproché en masse, certes, mais ce dernier précisa que la commission mobilités se réunit 7 fois par an en moyenne, ce qui laisse du temps pour le débat, l’échange et les propositions.
« L’engagement de voter le budget a été à moitié tenu, j’ai donc tenu à moitié le mien »
Confronté à cette salve d’attaques, Philippe Gamen a reconnu avoir revu sa copie contre toute attente : « Pendant le conseil du 16 mars, il y a eu une suspension de séance, des accords, entre guillemets, disant ‘Ok, on votera le budget, en contrepartie, l’amendement doit être mis à l’ordre du jour d’un prochain conseil’. Je l’ai annoncé et dans la foulée, il y a eu un vote à bulletins secrets. Résultat, 29 bulletins défavorables à ce budget. Je ne sais pas s’il y a eu une consigne de donnée, l’engagement a été à moitié tenu, j’ai donc tenu à moitié le mien. Je le dis, je ne suis pas fier, j’assume. Je veux être honnête avec vous, c’est idiot, je suis d’accord. Ce sujet est politisé, ça ne me plaît pas, ce n’est pas dans ma nature et je veux changer les choses ». Sur le versement mobilité, il expliquait vouloir laisser souffler les entreprises alors qu’une hausse de la fiscalité venait d’être validée en séance, notamment après avoir reçu du comité de partenaires un courrier s’opposant à l’augmentation du versement. « Ça m’a conduit à penser qu’il n’y avait pas urgence ». « Oui, c’est un travail qui n’est pas abouti, ce sont des ajustements, que l’on peut financer. Pour des modifications plus importantes, nous sommes en fin de contrat de la délégation de service public (attribué au groupe Kéolis depuis janvier 2019 et pour une durée de 6 ans, NDLR). On n’est pas dans une période de mise en concurrence, on n’a aucun moyen de négocier les prix avec notre délégataire ». Sous-entendu que les modifications structurelles attendront le moment de renégocier le contrat de DSP, si ce mode de gestion est celui retenu. « Je veux bien porter beaucoup de choses en tant que président. Je fais confiance à mes vice-présidents et là, je commence à avoir de sérieux doutes. C’est mon vice-président qui a proposé l’amendement au comité de partenaires, moi, je ne soutenais pas cet amendement versement mobilité. Je vois des maires pas concertés, j’en ai assez de prendre cette part de responsabilité, je vais prendre les choses en main sur cet aspect transport en commun. Sur les priorités à donner, je prendrai mes responsabilités ».
Cette question de l’augmentation du VM se reposera, vraisemblablement, en 2024, promit Philippe Gamen, mais plus grave, le rapport de confiance semble s’être brisé au sein de l’exécutif, entre les élus et leur président, lui qui était parvenu à ces fonctions d’un souffle, après un match disputé face à Aurélie Le Meur, laquelle n’a pas été tendre, jeudi 11 mai**. Face à un conseil des plus diversifiés politiquement parlant, face à une ville centre avec qui les relations sont régulièrement tendues, Philippe Gamen semble plus que jamais isolé, sur une fine pellicule de glace qui plus est.
* « C’est trop facile de se tirer dessus. J’ai toujours du respect pour les élus qui s’engagent, essayons d’être ensemble. On n’a pas les moyens de faire de la politique dans les petites communes ; à l’Agglo si, mais ce n’est pas dans mon ADN. Ce n’est qu’ensemble que l’on donne du sens à l’action publique » , nous expliquait Philippe Gamen, le 25 octobre 2021.
** « En tant que VP et avec M. Caraco, je ne me sens pas respectée de la part du président, dans des interventions de nature à questionner notre engagement, la qualité de notre travail. Depuis trois ans, nous sommes présents, nous n’avons pas accès aux mêmes moyens et relations avec les services, ce qui peut expliquer que nous ayons des difficultés à venir en séance avec des délibérations et des travaux aboutis ».
Le PCF du bassin chambérien réagit
Au lendemain de cette séance agitée du conseil communautaire, le PCF du bassin chambérien a réagi par voie de communiqué : « Jeudi 11 mai, faisant suite au conseil communautaire du 16 mars 2023, le président Gamen dit ‘j’ai tenu à moitié mon engagement’, soit concrètement, en ne réunissant pas le conseil avant le mois de mai comme promis, il a menti aux élus et au citoyens. Plus tard, il continue : ‘On a voulu politiser le sujet (le versement mobilité), je n’aime pas ça’. Comment un sujet aussi sensible que la mobilité ne serait pas politique ?
A l’heure ou la défiance envers les politiques est présente, le président de Grand Chambéry enfonce un peu plus la collectivité dans une crise démocratique.
Un changement doit être fait rapidement pour répondre aux enjeux sociaux, écologiques et démocratiques. Le PCF attend encore et toujours une réponse au courriers envoyés par mail et remis en main propre à Philippe Gamen pour améliorer le quotidien des Grand chambériens«.
Le Medef précise
Le Medef a apporté les précisions suivantes suite à la parution de cet article : « Nous ne participons pas au Comité des partenaires cité. Il en est de même pour la Fédération du BTP. Seuls les représentants consulaires représentent les entreprises. Ayant eu connaissance de ce projet d’augmentation du versement mobilité qui pénalise les entreprises déjà en grande difficulté en sortie de crise, nous avons écrit un courrier à Philippe Gamen en date du 14/04/23 pour lui indiquer que nous étions contre ce projet. Courrier cosigné par :
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2 commentaires
Charles
14/05/2023 à 15:12
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MARINE COQUAND
15/05/2023 à 11:03
Le MEDEF Savoie souhaite apporter une modification à cet article.
Nous ne participons pas au Comité des partenaires cité. Il en est de même pour la Fédération du BTP.
Seuls les représentants consulaires représentent les entreprises.
Ayant eu connaissance de ce projet d'augmentation du versement mobilité qui pénalise les entreprises déjà en grande difficulté en sortie de crise, nous avons :
- écrit un courrier à Philippe Gamen en date du 14/04/23 pour lui indiquer que nous étions contre ce projet. Courrier cosigné par
- La CCI Savoie
- UIMM 73
- Fédération BTP Savoie
- GNI GHR
- FNTR
- Boissons Rhône Alpes
- Mobilians
- UMIH 73 74
- FPI ALPES
- Chambre des Agents Généraux d'Assurance de la Savoie
- FRANCE CHIMIE AUVERGNE RHONE - ALPES
Nous avons également fait une demande officielle afin d'intégrer le Comité des partenaires afin de représenter les intérêts des entreprises de l'agglomération.
Nous vous remercions donc de rectifier votre encart.
Cordialement
"Sur le versement mobilité, il expliquait vouloir laisser souffler les entreprises alors qu’une hausse de la fiscalité venait d’être validée en séance, notamment après avoir reçu du comité de partenaires un courrier s’opposant à l’augmentation du versement."
Le comité des partenaires, instance de consultation réglementaire, réuni 6 avril 2023, a voté l'augmentation du Versement Mobilité par 10 votes "favorable" (M. Caraco, M. Cerino, le Conseil de Développement, la Chambre des métiers et de l'artisanat de Savoie, Centre Hospitalier Métropole Savoie, Université Savoie Mont Blanc, DSDEN, ADTC, Roue Libre, un habitant tiré au sort), 2 abstentions (CAF et un habitant tiré au sort) et 2 votes "défavorable" (M. Dyen VP voirie et Mme Wolff VP urbanisme et du droit des sols).
La liste des membres et le mandat du comité des partenaires sont présentés ici : https://www.grandchambery.fr/uploads/Oxyad/85/17851_803_Acte9241.pdf