Un chat, son emblème, tout en courbes, d’or vêtu, placidement posé sur son socle. Un cachet, certifiant le caractère unique de la pièce, une signature… Léloluce a frappé, encore, réinterprété une forme qu’elle a maintes fois adaptée pour lui donner une préciosité qui s’accorde avec la brillance de l’événement. Elle est l’une des stars du festival du cinéma français, à n’en pas douter. Une lumière dont elle se détourne volontiers, la cédant davantage à son animal fétiche qui servira de trophée aux films et personnalités récompensés. Sacré coup de projecteur pour une artiste qui en a déjà connu plus d’un.
Le plus petit des félins est une œuvre d’art. La découverte de son atelier, aux portes de la Savoie, à Saint-Félix (tiens donc…) est une ode à la couleur, au foisonnement, mais pas que. Tout en rondeurs, ses chats, ses emblèmes, parsèment l’espace de leur majesté. Frappés d’une marque, d’un logo de luxe ou vierges de tout, ils rendent hommage à cette maxime du grand Léonard, inspirateur de tous les génies de l’histoire. Oui, le plus petit des félins est une œuvre d’art. A part entière. Les Lélocats sont sa signature, habile mélange d’élégance, de liberté, de force et de sérénité, « le chat est indomptable, il fait ce qu’il veut » , dit-elle.
Sobrement posés sur leur socle, les Lélocats, recouverts d’or 23 carats, auraient pu inspirer Jules Renard quand il écrivait que l’idéal du calme est un chat assis. Ils imposent le silence au visiteur. Pénétrer l’atelier de Léloluce, Lucie Legrand à la ville, c’est un peu comme visiter un refuge pour chats : ils vous contemplent mais s’émeuvent à peine de votre présence. Ils ne font qu’imposer la leur, vautrés dans leur paresse. Et peut-être que l’un d’entre eux s’approchera car c’est connu, le chat choisit son esclave, il ne saurait en être autrement.
Ce jour-là, par chance, les AIXcellence sont prêtes, chacune est unique, frappée du sceau de l’originalité, les choisir comme récompense pour les lauréats du festival n’a été qu’une évidence. « ‘C’est ce qui te représente le mieux’, m’a dit Valérie (Thuillier, NDLR). Je lui avait pourtant proposé dix trucs différents » mais c’est son emblème qui a gagné. A-t-on déjà vu un chat s’incliner, franchement ?
En bonheur et en couleurs
Le problème, avec le retentissement d’un tel événement, est qu’il va pointer les projecteurs sur une artiste que la discrétion habille pourtant à merveille. Dont la passion pour l’art est venue tôt, très tôt, presque précocement. « J’ai commencé à peindre à l’âge de 5 ans, j’avais des livres pour apprendre. J’ai toujours peint, dessiné aux fusains… » d’aussi loin qu’elle s’en souvienne. Elle nous montre une peinture réalisée à 10 ans, retrouvée dernièrement. La méticuleuse précision du détail frappe, elle avait le truc, ce truc qui la place aujourd’hui parmi les 25 artistes contemporains en vogue sur le marché de l’art, une situation qu’elle n’assume pas encore tout à fait, « mais je travaille sur moi » , sourit-elle. Victime du syndrome de l’imposteur, elle vit au rythme des sinusoïdes, tantôt en haut, tantôt tout en bas. « C’est quand je crée que mon cerveau se met en ‘off’. Ça me fait un bien fou ». C’est alors que tout se transforme « en couleur et en bonheur ». Son médicament vaut bien toutes les chimies du monde : lorsqu’elle crée, elle positive et bariole ses toiles, c’est ainsi.
Autrefois, sa drogue était le sport. Seulement, deux grossesses sont passées par là, il lui a fallu du temps pour replonger, « j’ai un coach qui m’aide à m’y remettre ». A Albens, elle se remet au handball, une discipline qu’elle a pratiquée avec entrain et assiduité depuis son plus jeune âge, « de 5 à 26 ans » , rembobine cette hyperactive de 33 ans, avide d’apprendre, réfractaire « al farniente ». Son rêve d’ado, devenir handballeuse professionnelle au Chambéry Savoie Handball, fera long feu. Victime d’un syndrome rotulien, inflammation du cartilage de la rotule et de ses éléments stabilisateurs, elle voit sa carrière sérieusement compromise. S’ensuit une période de déprime caractéristique du manque. La jeune Lucie s’accroche toutefois à son ballon et s’inscrit à Barby « à un bon niveau ». Sur le plan scolaire, tout semble rouler mais voilà qu’en première, contre toute attente, son professeur de français demande à prendre contact avec ses parents. « J’ai appris que j’étais grave dyslexique, le niveau de lecture d’un CP et de compréhension d’un CE1. A côté, j’étais très forte en maths et en sport, donc ça compensait. Depuis tout ce temps et jusqu’en 1re, ça n’avait inquiété personne. C’est dingue… L’orthophoniste n’avait jamais vu ça ». C’est sa rencontre avec Chantal qui changera sa vie. « Elle m’a soignée avec des ultrasons, une méthode révolutionnaire ». Juste avant le bac de français vers lequel elle n’avançait pas en toute confiance, c’est peu de le dire. « Disons qu’après, je suis devenue vraiment forte » , dit-elle dans un grand rire. Le bac en poche, l’avenir demeure toutefois incertain. « Je viens d’une famille modeste. Après avoir payé les études de ma sœur, elle n’avait plus rien pour moi » , souligne-t-elle, sans acrimonie aucune.
Sur sa liste de souhaits, pourtant, s’inscrivent en gras « de l’argent et une Audi RS » , de doux songes d’une ado au printemps de sa vie. Mais faute de papa Noël, Lucie devra créer sa propre chance. Si son extrême émotivité lui permet de transmettre une émotion à travers ce qu’elle réalise, les chiffres la maintiennent dans un confort pragmatique. Son aisance à les manipuler la dirige vers un métier que l’on jurerait austère pour cette artiste qui s’ignorait encore. Et hop, la voici expert-comptable, un métier dont elle va néanmoins s’emparer et qu’elle va transformer à sa guise. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, après tout, pourquoi pas… « Je ne me représentais pas l’expert comptable tel qu’on le connaît. Comme je suis naturellement marrante et bienveillante, j’y ai mis du mien et forcément, je n’avais rien à voir avec l’image que l’on s’en fait ».
A ceci près que l’esprit créatif s’accommode fort mal de la vie de bureau. « Je n’étais pas heureuse, je voyais défiler plein de chefs d’entreprise devant moi, je voulais être comme eux » , à la recherche d’un épanouissement qui se plaît à la fuir.
A la recherche du « Waouh » !
A cet instant, elle ne comprend toujours pas que son talent brille sous ses yeux. Qu’en vérité, il brille depuis toujours, ce dessin vieux de 23 ans en est le témoin. « Un jour, un client me dit vouloir investir dans l’art, car c’était une valeur sûre, défiscalisable. En gros, en termes de niche fiscale, vous avez l’art en un, l’or en deux et l’immobilier en trois. Ça me dépassait totalement ». L’art, une bonne affaire, sans transgresser, ce qui a du sens pour une jeune femme qui dit détester « l’injustice et les magouilles » , héritage de son hyperémotivité.
Rester dans ses valeurs, ne jamais se trahir et agir pour le bien d’autrui, voilà quel devra être son rythme de vie. « Réussir sans faire le bien c’est perdre » , écrivait Orelsan. Elle troque les chiffres pour des pinceaux et un chevalet, remet son énergie créative en mouvement, comme à ses plus belles et jeunes heures, jusqu’à y « mettre toute [son] âme ». Ce qu’elle fait, elle le réalise « pour le ‘Waouh’, pour le bonheur que mon œuvre peut apporter aux gens, pas pour que ma cote monte ». Alors elle se donne sans compter car « si je dois réussir, ce sera par le travail ». Et si sa cote est au plus haut aujourd’hui, ce n’est jamais qu’une conséquence plus qu’un aboutissement. Son épanouissement, lui, n’a pas de prix.
Son métier d’artiste lui permet aujourd’hui de s’investir pour des causes, notamment animales. « Toute petite, je sauvais tous les animaux en détresse que je trouvais. Mes parents ne comprenaient pas. Grâce à mon métier, je rencontre des gens fortunés qui achètent des œuvres d’art très cher, je peux alors faire des dons à des associations ou m’engager sur des actions qui me touchent, comme participer à la construction de puits dans des villages reculés » , l’un de ses objectifs. « J’aime utiliser ma notoriété pour faire le bien. C’est là que me revient la phrase d’Orelsan ». Véritable haut potentiel, Lucie voit dans ces cotes et statistiques une source de pression, dont elle se nourrit. « J’en ai besoin, avoue-t-elle, je ne sais jamais m’arrêter ». Sous pression, le talent s’exalte. Cependant, elle ne veut pas se départir de l’essence même de son travail, transmettre l’émotion. Bourreau d’efforts, au cerveau fécond, Léloluce ne crée que pour le plaisir des yeux. D’autrui, naturellement…
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